Une femme se sépare de son amant W avec qui elle vivait depuis cinq ans, en pensant qu’un jour ils pourraient se retrouver. Ils se voient toujours un peu mais, lorsqu’il lui annonce qu’il s’installe chez une autre femme, un sentiment de débâcle la saisit. Elle était fière d’être avec un homme plus jeune qu’elle, mais c’est aussi le cas de cette rivale. La jalousie s’empare d’elle. Sa rivale occupe son esprit et son corps jours et nuits. S’appuyant sur les rares indices lâchés par W, elle la cherche dans les annonces immobilières, dans les annuaires de la fac, sur le minitel, par des coups de fil anonymes. Elle l’imagine, s’en dresse un portrait, se torture en pensant au sexe de son amant dont jouit une autre femme.

Théâtre : L'occupation
Théâtre : L’occupation

Dépourvu de pudeur et de réserve dans la description du sentiment amoureux, le court texte paru en 2002 de Annie Ernaux passe de la sensualité au déchaînement de la fureur jalouse. Lucide sur ce qu’a d’aberrante sa recherche, cette femme ne peut y échapper comme si, dit-elle, « elle était maraboutée ». Une part d’elle souffre et cherche à tout savoir de l’autre, tandis qu’une autre part analyse cette souffrance.

Séduit par ce portrait éblouissant d’une femme de quarante ans à un moment crucial de sa vie amoureuse, Pierre Pradinas a souhaité le mettre en scène en confiant le rôle à Romane Bohringer. Elle épouse toutes les facettes du personnage, exprime toutes les nuances de la jalousie jusqu’à perdre la raison, se lance dans sa recherche à corps perdu, veut retrouver le corps de son amant et qu’il oublie l’autre. Nerveuse, perdue, pleine d’espoir tout en sachant sa quête inutile et folle, elle hurle en insultant sa rivale, danse, se lance dans une sarabande échevelée sur une chanson de carabin, à l’unisson de son désir déchaîné. Au terme de tant de douleur elle s’apaise enfin, écrit une lettre de rupture, comme si, après cette flambée de jalousie, l’amour était épuisé et l’écriture prenait la place de cet éclat. Sur scène le musicien Christophe « Disco » Minck accompagne le jeu de l’actrice. Harpe, synthétiseur et piano arrangé se mêlent aux mots de l’actrice, épousent sa rage ou son apaisement. Et c’est au son d’ une musique de variété italienne légère qu’elle peut désormais évoquer Venise où W et elle allèrent ensemble du temps où ils s’aimaient. Les images de Simon Pradinas – images du suicide d’Anna Karénine dans le film éponyme, liste interminable de numéros de téléphone sur un minitel – complètent le tableau en apportant une distance un peu ironique.

On ne pourra plus désormais penser à ce livre d’Annie Ernaux sans avoir devant les yeux l’image de cette formidable actrice qu’est Romane Bohringer, superposant les emportements de la jalousie et le reste de lucidité qui lui permet de les analyser.

Micheline Rousselet

Du jeudi au samedi à 19h, le dimanche à 17h30

Théâtre de l’œuvre

55 rue de Clichy, 75009 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 53 88 88


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