Quatre jeunes Athéniens, deux maîtres et leurs deux esclaves échouent, après un naufrage, sur une île où les esclaves se sont libérés. Le magistrat de l’île, Trivelin, les contraint à échanger leurs rôles afin que les anciens maîtres, privés de leur perruques et de leurs costumes, prennent conscience des humiliations qu’ils infligeaient à leurs serviteurs et se corrigent. C’est seulement à ce prix qu’ils retrouveront leur liberté.

Théâtre : L’île des esclaves
Théâtre : L’île des esclaves

Cette courte comédie de 1725 est pour Marivaux un prétexte pour aborder, sous le couvert du monde inversé, des questions philosophiques, celle en particulier de l’injustice des rapports sociaux de son époque, où les rangs sont définis par la naissance et où la liberté des uns n’est possible que par la servitude des autres. Que se passerait-il, se demande Marivaux, si les maîtres devenaient les esclaves de leurs anciens maîtres et inversement ? Et que penser de Trivelin qui s’arroge le droit de rééduquer les naufragés avec des méthodes assez peu démocratiques ? Dans un premier temps les esclaves ont bien envie de se venger. Singeant leurs anciens maîtres, ils n’hésitent pas à les rabaisser et à les tyranniser, tandis que ceux-ci n’ont d’autre alternative que de subir en se plaignant et en abandonnant un peu de leur dignité. Mais, par ce qui ressemble un peu à un tour de passe-passe, Marivaux, qui n’est pas un révolutionnaire, refuse de figer ce rapport inversé et fait le choix de la réconciliation. Mais à quoi peut-elle être attribuée ? Réussite de l’éducation voulue par Trivelin ou résignation, la question reste ouverte.

Jacques Vincey a ajouté à la pièce un court prologue dans lequel sa voix, venue de l’ombre de la scène, évoque ce qui l’a poussé à choisir cette histoire. Il a surtout remplacé le divertissement final par un épilogue. Soucieux de susciter chez ses jeunes interprètes – cinq jeunes comédien.ne.s tout juste sortis des écoles nationales et des conservatoires de la Région Centre-Val de Loire et accueillis pour deux ans dans l’ensemble artistique T° pour roder leur métier – une réflexion sur leurs inquiétudes, leurs questionnements, leur art et leur époque, il leur a demandé d’écrire cet épilogue.

Comme il l’avait fait pour La dispute , Jacques Vincey a imaginé deux versions pour la pièce, une version foraine avec une scénographie allégée qui a tourné depuis février dans les collèges, salles des fêtes, etc. de la région, et une version salle créée en septembre 2019 au Théâtre Olympia.

Jacques Vincey a choisi de couvrir la scène d’une mousse aussi légère qu’abondante. Elle évoque les vagues du naufrage, mais en même temps empêche les jeunes naufragés de se mouvoir avec aisance, comme si maîtres et esclaves restaient englués dans leur condition. Les perruques sont imposantes. Symboles de la domination des maîtres ils se retrouvent bien nus lorsqu’ils les perdent, d’autant plus que des robes à paniers ne reste que l’armature ! Mikaël Grédé est un Iphicrate arrogant, toujours prêt à bastonner, usant de la plainte pour apitoyer son esclave mais vite prêt à reprendre son bâton. Thomas Christin a l’insolence d’Arlequin. Peu dupe des plaintes de son maître, c’est pourtant lui qui conduira à la réconciliation. Blanche Adilon est Euphrosine qui tente de garder son rang en cherchant les bonnes grâce de Trivelin (impériale Charlotte Ngandeu). Diane Pasquet est Cléanthis, l’esclave d’Euphrosine, pleine de rancune et d’envie de vengeance. Tous sont convaincants.

Une mise en scène intelligente pour réveiller la question toujours d’actualité que pose Marivaux. Comment pouvons-nous accepter la conscience tranquille l’injustice des conditions et comment refonder un ordre plus juste ?

Micheline Rousselet

Théâtre Olympia

7 rue Lucé, 37000 Tours

Réservations : 02 47 64 50 50

Tournée : 17 et 18 octobre Amboise, 13 et 14 novembre Colombes, 19 novembre Montbéliard, 22 novembre Sablé, 26 novembre Chartres, 3 au 5 décembre Thouars, 17 au 20 décembre Sénart

Autres dates sur le site du théâtre Olympia de Tours


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