En 2008 le jeune acteur Simon Gauchet s’initie pendant un mois au Japon au théâtre Nô de l’école Kongo avec un maître, Tatsushige Udaka. À la fin de sa formation, alors qu’il doit repartir en France, il souhaite payer son professeur. Celui-ci refuse mais lui demande de revenir pour lui transmettre à son tour des éléments de son théâtre occidental. Dix ans plus tard Simon Gauchet, à l’occasion d’une résidence de trois mois à la Villa Kujoyama, va honorer sa promesse. L’expérience de l’arbre est le récit de cette transmission.
Sur la scène Simon Gauchet, en jean, et Tatsushige Udaka en costume traditionnel du Nô se transmettent leurs théâtres. À la récitation de Tête d’or de Claudel par Simon Gauchet répond un Nô du XIVème siècle de Tatsushige Udaka. La façon de placer la voix, la gestuelle, l’utilisation de l’éventail, les pas glissés tout devient objet d’observation et de questionnement pour les deux acteurs. Chacun devient le professeur de l’autre et chacun avance dans un mélange de sérieux, d’application et d’humour. On sourit à la difficulté qu’a le Japonais à prononcer nos « r » et à celle du français à faire correctement les gestes codifiés depuis des siècles du Nô. A la surprise de Simon Gauchet devant les tons de la récitation du Nô répond celle du Japonais quand l’acteur français imite la voix perçante d’Antonin Artaud ou se lance dans une fable de La Fontaine récitée à la façon baroque. Accompagnés par la musique jouée à la guitare électrique par Joachim Pavy, qui de façon surprenante trouve ici très bien sa place, les deux hommes font apparaître des corrélations. La lampe que l’on laisse allumée la nuit dans les théâtres vides en Occident et que l’on appelle au Royaume Uni « the ghost light » semble nous renvoyer aux fantômes qui se cachent sous les masques dans le théâtre Nô.
Au-delà du jeu, les deux acteurs se dévoilent des mythologies comme celle de l’arbre considéré comme un lien entre la terre et le ciel, les Hommes et les Dieux et à ce titre incarnant la filiation et la transmission. Dans le théâtre Nô c’est un pin. Cet arbre paisible qui résiste aux tempêtes est toujours peint au fond de tous les théâtres. Sur la scène les deux hommes vont reconstituer un arbre à l’image du « pin du miracle », ce pin resté debout après le tsunami de Fukushima, mais qui s’est mis à pourrir peu après et que les Japonais ont découpé en neuf morceaux pour y injecter de la résine, afin qu’il reste debout en dépit de tout. Les branches mortes soigneusement disposées sur les côtés de la scène trouvent leur place dans les morceaux du tronc. Les éclairages dessinent délicatement les ombres des branches et des hommes. L’arbre se soulève délicatement, se balance loin de la tempête, tourne au dessus des deux acteurs comme s’il protégeait leurs échanges. La musique s’est tue, l’échange et la transmission sont accomplis. Toute l’élégance et la délicatesse du spectacle trouve alors son acmé.
Micheline Rousselet
Tournée 2020-2021
Théâtre de Lorient, CDN
Théâtre de l’Union, CDN du Limousin
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