Marguerite Duras était intéressée par les faits divers – on se souvient de ses interventions lors de « l’affaire Grégory » – et la folie la fascinait. L’amante anglaise , pièce qu’elle écrit en 1967, est inspirée par le meurtre commis en 1949 par Claire Lannes. Celle-ci, une femme ordinaire, tua sa cousine sourde et muette puis jeta du haut d’un pont, pendant une semaine, des morceaux du corps dans des trains de marchandises qui passaient. Presque par accident dans un café, elle avoua mais se révéla incapable d’expliquer son geste.
Marguerite Duras met en présence successivement, face à un interrogateur qui tente de comprendre, le mari de Claire Lannes puis Claire Lannes elle-même. C’est dans une sorte de thriller psychologique qu’elle nous entraîne. On sait qui a tué, l’assassin a avoué, mais reste la question qui hante l’interrogateur. Qui est cette femme, pourquoi ce meurtre et pourquoi ce rituel si barbare ?
Thierry Harcourt a placé les protagonistes de l’affaire dans un décor sobre et sombre. Assis sur une chaise se succèdent Pierre Lannes puis Claire Lannes, leur visage sculpté par la lumière, tandis que l’interrogateur se déplace et tente de percer leur mystère. Il a choisi trois acteurs confirmés pour les incarner. Jean-Claude Leguay, formé entre autres par Antoine Vitez, est l’interrogateur. Il essaie par ses questions de cerner le couple, sa relation avec cette cousine qui vivait chez eux, les liens entre le mari et la femme. Calme au début, il essaie d’avancer dans son enquête puis finit par s’impatienter devant l’incapacité ou le refus de Claire Lannes d’expliquer son geste. Jacques Frantz, lui aussi formé par Vitez, est Pierre Lannes, un monstre d’indifférence. Assis, massif, les mains sur les genoux, il n’a rien vu, rien entendu et dit de sa femme que « c’était une espèce de folle » mais qu’il suffisait de la surveiller et que, de toutes façons, rien n’aurait pu être évité !
Surtout il y a Judith Magre. Succédant à Madeleine Renaud, Suzanne Flon et Ludmilla Michaël, qui ont interprété le rôle, elle donne à Claire Lannes une opacité, un mystère, une folie désarçonnante. Assise sur sa chaise, elle lève un regard souvent perdu, semble parfois s’inquiéter de ce qu’on va lui faire. Judith Magre la fait passer du sourire à l’évocation du passé où Claire Lannes a aimé, à l’indifférence de celle qui dit n’éprouver qu’un regret, ne plus être dans son jardin. Mais quand ses refus de répondre finissent par exaspérer l’interrogateur, elle devient pathétique lorsqu’elle dit « Écoutez-moi, je vous en supplie ». Elle est magnifique.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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