Les bonnes fées qui veillent sur le berceau de George Mastromas sont de bien étranges personnages masqués en animaux, au comportement clownesque et au propos ordurier.
Cette première vision du monde augure une existence hors du commun qui conduira ce garçon innocent, balançant entre bonté et lâcheté, jusqu’à un destin qui va le porter à force d’hésitation à être lui-même jusqu’à devenir un des hommes les plus puissants au monde.
Enfant, il va, par opportunisme, trahir son meilleur ami Paul en prêtant sa voix à la moquerie générale et à la destitution d’un leader.
Jeune homme, il hésitera entre plusieurs histoires amoureuses pour finir par passer à côté de celle que, par lâcheté, il laissera filer.
Il connaîtra le consécration professionnelle en trahissant son employeur au moment où celui-ci, réduit à la faillite, suivra son conseil qui finira de le mettre à terre.
Devenu immensément riche, et peut-être égaré dans l’opulence de sa fortune, il ira jusqu’au crime de son frère aimé.
Mais un retour imprévisible de son passé va le réduire à une solitude telle que le pouvoir et la richesse dont il s’était fait une protection indestructible se retourneront contre lui et le réduiront à l’état de vieillard isolé.
La pièce de Dennis Kelly qui suit le personnage de George Mastromas de sa naissance jusqu’à sa mort a inspiré récemment plusieurs metteurs en scène.
Franck Berthier a choisi de le traiter en multipliant les genres théâtraux, allant du burlesque au drame en passant par la caricature, en tournant en dérision le moment des choix amoureux du personnage, en stylisant le propos ou tout au contraire, en suivant à la lettre la montée dramatique de l’histoire de cet homme qui n’aura connu son ascension que grâce à ses indécisions et à sa faculté à trahir.
Et si l’on est parfois troublé pas les ruptures de ton de la mise en scène, dans l’enchaînement contrasté des séquences, l’intérêt reste constant et la détermination de Franck Berthier à assumer ses choix, sa façon frontale d’emprunter des chemins de traverse du récit donnent au spectacle une vigueur, une force, une vérité à ce qui est tour à tour une fable contemporaine cruelle, un exercice burlesque et un mélo.
Il fallait beaucoup de talent pour jongler ainsi avec différents genres et Franck Berthier, toujours inventif, n’en manque pas, qui a su s’attirer la complicité d’un groupe de comédiens remarquables, capables de passer du jeu clownesque à la caricature et être tout aussi convaincants dans le drame.
Ils sont tous parfaits mais il est à souligner la magnifique performance de Yannick Laurent (on l’avait déjà remarqué dans «Trahisons» de Pinter en début de saison au Lucernaire).
Dans le personnage de Georges Mastromas, il explose littéralement et il serait à lui seul (mais il y a tant d’autres raisons !) une raison pour aller au Studio Hébertot applaudir un des meilleurs spectacles de cette année théâtrale qui fut très riche en bonne surprises.
Francis Dubois
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