Le Suédois Lars Noren met en scène dans Kliniken les conversations des patients d’une institution psychiatrique. Ils sont douze, médicamentés, désœuvrés, jetant un œil à une télé qui semble marcher en permanence. Chacun parle, dialogue, observe les autres, s’en approche ou s’en éloigne. Au fil de la pièce les récits s’entrechoquent, avancent car ces personnages ne cessent de parler. Les moins atteints proposent des raisons plausibles à leur hospitalisation et évoquent une histoire de vie, qui les a amenés là où ils estiment qu’ils ne devraient pas être. Ils ne s’écoutent pas toujours mais sont souvent d’une lucidité impressionnante sur ce qu’ils vivent. De ces décalages naît un humour qui offre une respiration au spectateur. L’écriture épouse le côté sans filtre de leur parole d’où émergent parfois des phrases saisissantes et fortes. Ainsi Mohammed réfugié d’un pays en guerre dit « J’ai quel droit de vivre dans un pays de morts ? » et Erika « Une chance qu’on aille si mal, sinon on pourrait pas supporter ».

En parlant de la folie, Lars Noren nous parle aussi de nous. Cette petite société livrée à elle même apparaît comme le produit des maux de la nôtre. On devine, dans le nuage de la fumée des cigarettes, les événements qui ont amené ces hommes et ces femmes dans cette institution, mais aussi la fragilité de nos certitudes qui peuvent s’effondrer brutalement.

La mise en scène de Julie Duclos, tout comme la scénographie de Mathieu Sampeur, respecte à la fois le réalisme de la pièce et sa poésie. Le plateau est vaste, haut et épuré, uniquement occupé par une grande table, un canapé et quelques chaises. Une haute fenêtre, parfois envahie par la pluie, laisse voir un très grand arbre. Les patients entrent et sortent constamment du plateau par les deux portes opposées, s’arrêtant parfois pour dialoguer ou s’installant à l’extérieur. On les suit par cette haute fenêtre ou par des images vidéo projetées directement sur les murs. Elles sont un peu floues comme l’esprit des patients ou les jugements que l’on porte sur eux. Elles apportent une respiration mais redoublent aussi le sentiment d’enfermement propre au lieu.

C’est un véritable travail de chef d’orchestre qu’a réussi Julie Duclos. Au fur et à mesure que la pièce avance, chaque personnage livre un morceau de son histoire, son ressenti et ses désirs. Il y a des accélérations, des lenteurs, des suspensions, des échos. Elle a choisi avec un soin extrême ses treize interprètes, des jeunes issus de l’école du Théâtre du Nord, des Théâtres Nationaux de Bretagne et de Strasbourg aux côtés d’acteurs plus expérimentés, pour qu’ils soient au plus près des personnages de la pièce tels qu’elle les imaginait. Quelques uns sont particulièrement marquants comme Étienne Toqué ou Manon Kneusé. Le premier sans cesse au bord de l’explosion, gesticule brutalement, ne s’arrête jamais dans son délire verbal semé de grossièretés salaces, mais dans un bref moment de calme, révèle sa fragilité. La seconde marche avec détermination, se change sans cesse, parle en continu et se révèle toute aussi capable d’écouter son interlocuteur que de lui balancer des vérités cruelles. D’autres incarnent des personnages plus en souffrance avec tout autant de vérité comme Alexandra Gentil dans le rôle de Sofia, la jeune anorexique ou Maxime Thebault, impressionnant bloc d’opacité et de souffrance mutique. Quant à Cyril Metzger, qui incarne Tomas l’infirmier on se dit qu’avec ce qu’il révèle de violence, il pourrait être à la place de ses patients. La frontière avec la folie apparaît poreuse.

On sort de la salle bouleversé par la pièce que l’on a vue mais en pensant aussi à ces malades si loin, si proches.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 26 mai au Théâtre de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, 75006 Paris – du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h –

Réservations 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu

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