Rien ne semblait impossible à cet homme épris de sa liberté que fut Kessel. Mathieu Rannou le fait vivre avec cette langue précise, ironique et ne reculant devant rien qui fut celle de Kessel. Son goût du risque, l’exaltation face au danger, sa curiosité pour tout ce qui est humain, l’importance de l’amitié ont nourri ses reportages et ses romans, sans oublier l’alcool. Comme le disait son père « Les Russes ne boivent que deux fois, quand ils mangent et quand ils ne mangent pas » et Kessel est un grand buveur, capable de gagner, même contre Humphrey Bogart, tous les concours de beuverie pour ensuite casser tout ce qui lui tombe sous la main. On le suit de la guerre de 14 qu’il fait en tant qu’aviateur à ses grands reportages pour France-Soir, en Irlande lors de la guerre d’indépendance, avec Henri de Monfreid sur la piste des esclaves en Afrique de l’Est, à Dunkerque en 1940. Son engagement dans la Résistance le conduit à la rencontre avec De Gaulle qui lui commande un hymne. Ce sera le chant des partisans. Après la guerre il y aura ce voyage en Afghanistan qui sera la matrice des Cavaliers puis son entrée à l’Académie Française.
La mise en scène sobre de Mathieu Rannou ouvre la porte à l’imaginaire. Des rideaux qui par le jeu des lumières découpent de grandes ombres, un porte-manteau avec quelques vêtements, un imper qui l’accompagnera pour sa rencontre mémorable avec Humphrey Bogart, un long caftan et un turban, rappels du voyage en Afghanistan. Quand l’acteur revêt un costume d’académicien pour dire des extraits du discours d’André Chamson pour l’entrée de Kessel à l’Académie Française il ne reste plus qu’à entendre la conclusion de l’écrivain « Le talent c’est le désir de vivre et la soif d’aimer. La mienne était intarissable »
En véritable Caruso du seul en scène, Franck Desmedt incarne magistralement Kessel, cet ogre affamé d’aventures, d’alcool, de rencontres avec des hommes dont il sait voir la personnalité profonde, que ce soit la mélancolie qui perce sous la vie aventureuse de Henri de Monfreid ou le cabotinage d’un acteur qui se prend pour un génie. Mais il fait vivre aussi certains de ceux qu’a rencontrés l’écrivain, révélant des qualités d’imitateur insoupçonnées : l’accent russe du père de Kessel, l’air blasé et las du directeur de France-Soir, Pierre Lazareff, qui le suivra pourtant dans ses projets, le Général de Gaulle avec son humour froid lui disant en 1943 que la guerre est gagnée et qu’il attend de lui un hymne, Humphrey Bogart se lançant imprudemment dans un concours de beuverie où il n’avait aucune chance face au buveur impénitent qu’était Kessel ou le comédien Francis Huster.
Une très belle soirée avec Kessel, l’aventurier, l’homme des rencontres exceptionnelles mais aussi un styliste qui savait transmettre l’émotion et trouver les images qui frappent.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 7 janvier 2024 au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mardi au samedi à 18h30, le dimanche à 15h – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr
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