1872 : après la semaine sanglante qui signe la fin de la Commune, 3800 communards sont condamnés à la déportation en Nouvelle Calédonie. 1871 : après la révolte de la population sous la direction de Mokrani en Kabylie, les insurgés sont déportés à leur tour. Sur les bateaux qui les emmènent vers la Nouvelle Calédonie après une traversée de 150 jours, ils fraternisent avec les communards, frères d’exil et de lutte. 1878 : c’est la grande révolte mélanésienne contre la spoliation de leurs terres par les colons, qui relèguent les Kanaks sur les pentes les plus raides impropres à la culture et refusant de clôturer leurs terres, laissent leur bétail piétiner les maigres récoltes des autochtones. Leur chef Altaï marche sur Nouméa mais sera trahi et tué. Sa tête sera exposée dans un musée à Paris avant de l’être à l’Exposition Universelle de 1889.
A la manière d’un conteur oriental, Abdelwaheb Sefsaf raconte cette histoire où tous les faits sont vrais. Metteur en scène il nous emmène d’un continent à l’autre usant de décors impressionnants imaginés par Souad Sefsaf et de vidéos (Raphaëlle Bruyas). Derrière des arcs arabes se dévoile la casbah ou le port d’Alger, les murs couverts d’affiche nous emportent à Belleville, une immense tête de mort, faite de baguettes, rappelle la pauvre tête d’Altaï ballottée loin de son corps de lieu en lieu. Et puis surtout il y a la mer dont les vagues emplissent tout le fond du décor avec à l’avant les cages de 1,5 mètre de haut où les bagnards parlent de leur misère et de leur lutte. Mât et voile, mer qui peu à peu laisse entrevoir le rivage après tant de mois de traversée, le spectateur a l’impression de partager ce voyage interminable. Comédien et chanteur Abdelwaheb Sefsaf a fait appel à un ensemble de musique ancienne, Canticum Novum. Accompagné par ces sept musiciens et chanteurs, la voix chaude d’Abdelwahed Sefsaf passe de l’arabe au français, de la révolte à la mélancolie. Narrateur il devient personnage quand il rencontre Louise Michel ou Altaï. Les huit comédiens et comédiennes vont jouer l’histoire de ces trois révoltes. Des moments significatifs sont pointés : les kanaks dans les zoos humains des Expositions universelles où on les présente comme des cannibales propres à faire peur, le départ des bannis du port d’Alger où on interdit les adieux aux mères, le bureau d’état civil en Nouvelle Calédonie où on refuse aux proscrits algériens, que l’on a mariés à la va-vite avec des femmes condamnées au bagne, de donner à leurs enfants des prénoms musulmans. On croise Louise Michel fraternisant avec les Algériens comme avec les Kanaks et appelant à l’union de toutes les victimes des injustices et de l’oppression coloniale. Un formidable danseur et slameur kanak, Simanë Wenethem donne à la révolte la puissance et l’agilité de son corps.
La pièce rappelle que jusqu’au bout la vindicte colonialiste s’est faite sentir, les Algériens, à la différence des communards lors de l’amnistie de 1880, furent libérés du bagne mais obligés de rester sur « le caillou ». Et l’injustice à l’égard des Kanaks s’est poursuivie tout au long du XXème siècle, les auteurs du massacre de dix indépendantistes kanaks en 1984 furent acquittés alors que le tribunal avait reconnu qu’il y avait eu préméditation. La pièce offre aussi un bel hommage à la solidarité des opprimés et à la fraternité que Abdelwaheb Sefsaf réveille avec beaucoup de générosité en faisant chanter la salle à la fin avec l’ensemble des comédiens et musiciens.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 26 novembre au Théâtre des Quartiers d’Ivry, la Manufacture des Oeillets, 1 rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine – jeudi et vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h – Réservations : 01 43 90 11 11 ou tqi@theatre-quartiers-ivry.com – du 29 novembre au 2 décembre au Théâtre de Sartrouville, le 7 décembre au Sémaphore de Cébazat, du 13 au 17 février au Théâtre des Célestins à Lyon, le 14 mars au Carreau, Scène nationale de Forbach
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