Comment faire sortir la psychanalyse des cabinets de psy ? Très simple, il suffit de mettre un cabinet dans la rue et d’y exposer sans pudeur ses turpitudes qui peuvent être celles de tant d’autres et les rudiments de la science de l’Inconscient fondée par tonton Freud !

Nous sommes sur la place de l’Église sous un soleil non pas de Satan mais de plomb. Il est 18 heures et la clowne Moumoute introduit le spectacle en testant un peu l’assistance plutôt nombreuse entre les gens installés en terrasse et ceux assis par terre. « C’est un spectacle qui s’adresse aux plus de 12 ans ». Des familles avec de jeunes enfants restent. Soit ! Mais il y aura bien des grossièretés et des choses du sexe. Comment faire autrement alors que la psychanalyse est pleine des secondes et nos vies des deux ? Moumoute s’esquive en prévenant qu’elle va chercher « l’autre » : la comédienne ou l’Inconscient ?!

Les parois d’une remorque noire en forme de gros cube se déplient comme on déplierait les méandres du psychisme humain et apparaît un cabinet, une créature à perruque blonde et rouge à lèvres débordant, vêtue d’une combinaison de travail colorée. Dès lors un délire psychédélique sur la psychanalyse, son besoin universel mais aussi ses concepts se déclenche. Une diarrhée verbale certes, mais pleine de sens. La Seconde Topique de Freud est très justement résumée : le Ça, le Surmoi et le Moi. La comédienne y ajoute le Chachacha, instance de « l’extension du moi allant vers les autres » ce qui inclut évidemment la fonction théâtre ! Quelques citations choc de Lacan sorties de la cuvette des WC comme d’outre-tombe… Par exemple : « Il n’y a pas de rapports sexuels ». Bras de fer avec la comédienne : « Elle – Si ! ; Lacan – Non ! Si ! Non ! Si ! Non ! »  Match nul, balle au centre.

La psychanalyse est respectée mais la satire s’empare de notre rapport à elle comme à une recette miracle. « Tu devrais aller voir quelqu’un. » Cette formule hyper codée est devenue une phrase que les gens se renvoient les uns aux autres comme une patate chaude ! C’est un peu absurde et pourtant vital parfois…

Le spectacle avance et bientôt les cloches se mettent à sonner l’angelus du soir. Un dialogue muet et comique fait de regards à grosses lunettes rondes et de mouvements de tête s’instaure entre la comédienne et l’autre Autre, celui du ciel ! Oui, le Grand Autre c’est Dieu pour les uns et l’Inconscient pour les autres : « On se tourne vers Dieu ou la psychanalyse pour les mêmes raisons : calmer l’angoisse humaine. » Chapeau à Hélène Vieilletoile, autrice et comédienne qui, tout en gesticulant et faisant rire comme au cirque, le crie haut et fort en place publique devant un clocher sonnant la prière à Marie et à une assistance médusée de vacanciers en goguette ! C’est comme quand elle balance cet uppercut lacanien : « La mort n’est qu’un acte de foi. » (Conférence de Louvain, 1972) alors que la vie on y est…

Dans le fond, Kabinet serait une folle tentative de nous inviter à passer à autre chose, à sortir de la banalité, à tirer la chasse sur les représentations qui nous enferment… aux cabinets, dans les salles d’attente, les vestibules, les antichambres de la vie !

À la toute fin, Moumoute prend une craie et inscrit sur le couvercle de sa boite comme sur un tableau noir d’écolier, ces vers de René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront »

Merci à Moumoute et à la compagnie Les Humains Gauches pour ces gaucheries clownesques très adroites !

Jean-Pierre Haddad

Festival « Humour et eau salée », Saint-Georges de Didonne (17), du 30 juillet au 3 août 2022

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