Une femme vient en visiter une autre sur l’île de Wight. Elles ne se sont jamais rencontrées, mais se connaissent car elles ont aimé le même homme. Frances fut son épouse et la mère de ses enfants, Madeleine, sa maîtresse. Il les a quittées pour une plus jeune et est parti vivre aux États-Unis. La rencontre démarre sous le signe de la méfiance, Madeleine ne veut pas se retrouver en personnage d’un des futurs romans de Frances. Celle-ci s’en défend, elle est venue pour trouver des réponses aux questions qu’elle se pose sur l’homme qu’elle a aimé. Les confidences qu’elles échangent dans la nuit vont transformer leur rapport.
On se plonge avec bonheur dans ce texte du dramaturge britannique David Hare qui est aussi un scénariste hollywoodien reconnu (The hours, The reader…). Il y est question de l’amour, de la passion de la jeunesse qui s’éteint, d’un homme tellement banal, qui aime une femme pour la stabilité qu’elle lui apporte et les enfants qu’elle lui donne, tout en en aimant une autre pour son énergie et sa force, avant de s’envoler avec une plus jeune ! Frances et Madeleine parlent avec humour des différences entre les Anglais et les Américains. Mais elles parlent surtout de l’amour, de la rencontre amoureuse, des déceptions amoureuses et des hasards de la vie qui poussent à s’attacher ou à partir. Elles ont vécu avec le même homme des choses différentes à des moments différents et découvrent un homme différent de celui qu’elles pensaient connaître. Peu à peu elles vont aussi se dévoiler avec sincérité.
Sophie Jacob a créé un décor propice à ce dialogue au bout de la nuit: une pièce où trône un grand divan et qui semble s’ouvrir sur une terrasse d’où l’on imagine qu’on doit voir la mer. Christophe Lidon dirige avec élégance les deux actrices qui vont peu à peu se révéler, parfois complices, mais jamais dupes du jeu de l’autre. De la musique offre des respirations à cet échange intense. Corinne Touzet incarne avec délicatesse Frances. Intense, quand elle dit tout ce qu’ont eu de cruels les mots d’un mari parlant de son admiration pour sa maîtresse, militante, énergique et apportant de la gaîté et du piment dans sa vie. Révoltée et digne quand elle fait entendre le courage de la vie de chaque jour. Raphaëline Goupilleau est juste parfaite pour faire ressentir la palette des sentiments de Madeleine. Elle la montre intelligente, lucide (« Nous nous sommes fait avoir Frances toi et moi. Nous nous sommes données pour rien »), ironique et drôle, battante, indépendante choisissant de rester maîtresse de sa vie.
Une pièce lucide sur les rapports des hommes et des femmes, que le Flower Power, époque de la rencontre de Madeleine et John, n’a pas modifiés, portée par deux actrices superbes.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 17 octobre au Théâtre du Lucernaire – 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – Réservations : 01 45 44 57 34 – du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 16h
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