Louis a quitté depuis longtemps la maison familiale. Il n’a guère donné de nouvelles mais il y revient pour annoncer sa mort prochaine. Il y trouve sa mère, sa jeune sœur, son frère et sa femme. Le huis clos familial peut commencer avec ses douleurs tues, ses secrets, ses jalousies et ses ressentiments. La parole démarre et la pensée suit. Au fur et à mesure qu’ils parlent les personnages cherchent à préciser leur pensée, leurs émotions et, par souci de dire bien, réajustent leur discours. Mais dans cette tempête de mots, comment dire l’indicible, la mort prochaine. Sous la plume brillante de Jean-Luc Lagarce, chaque personnage décortiqué révèle sa complexité et la pièce progresse par variations successives comme une partition de Bach.

Trente ans après sa disparition, le théâtre de l’Atelier a souhaité lui rendre hommage et a confié à Johanny Bert la mise en scène de cette pièce culte et une création à partir du journal de Jean-Luc Lagarce Il ne m’est jamais rien arrivé.

Le metteur en scène a souhaité mettre sur le plateau les meubles, les objets de la maison familiale. Ils sont là, suspendus au-dessus du plateau, et par un jeu de moteurs et de fils, ils descendent successivement pour créer le décor des différentes pièces, évitant ainsi la lourdeur des changements de décor. Dans cette pièce le père est absent. Il n’apparaîtra que dans Le pays lointain, la pièce qui reprend les personnages de Juste la fin du monde etque Jean-Luc Lagarce a écrite juste avant sa mort du sida à trente-huit ans. Johanny Bert a eu envie de le faire exister ici. Son visage, sous la forme d’une marionnette manipulée à vue, glisse silencieusement sur la scène semblant écouter. Cela ne semble pas une bonne idée car elle provoque le rire de certains spectateurs qui ne comprennent pas ce que vient faire ce fantôme et c’est tout à fait dommage.

On sait le soin que Jean-Luc Lagarce apportait au choix des mots, à la langue pour rendre la pensée en marche à l’œuvre dans sa pièce. Les acteurs ont donc un rôle primordial. Johanny Bert a tout de suite pensé à Vincent Dedienne, qu’il connaît depuis longtemps pour incarner Louis. Il écoute plus qu’il ne parle, commente plus qu’il ne se livre et oppose à l’effusion des sentiments un corps raidi. À ses côtés il a placé des actrices et acteurs venant d’horizons différents. Tous sont formidables, vibrants d’émotions et portent magnifiquement le rythme si particulier de la langue lagarcienne. Christiane Milliet incarne la mère et elle est parfaite de justesse et d’émotion contenue. Elle voudrait se rapprocher de ce fils qui s’est éloigné, adoucir les conflits et les incompréhensions d’autrefois en évitant les mots maladroits. Loïc Riewer est Antoine le frère cadet de Louis, plein de colère contre sa vie, contre ce frère qui s’est éloigné et les a perdus en changeant de monde et en devenant écrivain. Astrid Bayiha fait bien ressentir la gêne de Catherine la femme d’Antoine, ses efforts maladroits pour tenter de créer un lien avec ce Louis qu’elle rencontre pour la première fois et ses silences devant les colères d’Antoine. Céleste Brunnquell enfin justifie son César de meilleur espoir féminin en 2020 en interprétant Suzanne, la sœur cadette. Vive, spontanée, écorchée vive, elle fait des bras d’honneur, s’emporte contre Antoine et aspire avec fièvre à l’amour de Louis.

Un chœur familial que l’on ne peut oublier.

Micheline Rousselet

À partir du 15 janvier (et du 23 janvier à 19h pour Il ne m’est jamais rien arrivé) au Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, 75018 Paris – du mercredi au vendredi à 21h, le samedi à 15h et 21h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 46 06 49 24 ou billetterie@theatre-atelier.com – Tournée : du 25 au 27 mars Le Sémaphore à Cébazat, le 29 mars à la Halle aux grains à Blois, du 1er au 5 avril à La Croix Rousse à Lyon, les 8 et 9 avril au Théâtre de Pau, le 11 avril au Théâtre Odyssée à Périgueux


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