Étrange aventure que celle de cette pièce sur une pièce, Des roses et du jasmin , restée un grand moment pour ceux qui l’ont vue. Lorsque à l’hiver 2015 Adel Hakim, l’ancien directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry aujourd’hui décédé, demande à Mohamed Kacimi de l’accompagner à Jérusalem Est pour monter sa pièce – une fresque sur l’histoire d’Israël et de la Palestine du mandat britannique à la première Intifada – au Théâtre National Palestinien, l’un et l’autre se doutent que ce sera un peu compliqué, mais ni l’un ni l’autre ne s’attendent à cette rencontre avec un monde kafkaïen. Jean-Claude Fall a demandé à Mohamed Kacimi d’écrire cette pièce à partir du journal qu’il avait tenu de « l’épopée » de cette création.

Théâtre : Jours tranquilles à Jerusalem
Théâtre : Jours tranquilles à Jerusalem

Ce qu’Adel Hakim et Mohamed Kacimi découvrent en arrivant à Jérusalem c’est d’abord un théâtre à moitié en ruines, l’Autorité palestinienne ne pouvant délivrer de subventions à Jérusalem et le TNP refusant d’en réclamer à Israël pour ne pas perdre toute indépendance ! C’est aussi un théâtre soumis aux intimidations et aux déprédations des soldats israéliens, un théâtre où le directeur pour pouvoir fonctionner loue une salle à un orchestre qui répète en même temps que le metteur en scène tente de le faire dans une salle voisine. Quant aux acteurs il est fort difficile de les rassembler, car certains venant de Cisjordanie sont soumis au bon vouloir des Israéliens qui les laissent passer au compte-goutte aux check-points. Comme si cela ne suffisait pas, le Conseil d’Administration du théâtre entend contrôler dans le moindre détail le contenu de la pièce et estime qu’il n’est pas possible sur une scène palestinienne de parler de la Shoah et du malheur des Juifs, dont ils ne sont pas responsables. Ils menacent d’interdire la pièce ou veulent pouvoir la réécrire et il faudra toute la diplomatie et l’autorité du directeur du théâtre pour surmonter le problème. Comme si tout cela ne suffisait pas, il y a aussi quelques problèmes du côté des acteurs soumis à toutes les pressions de leur société. Il y a tant de choses dont il ne faut pas parler. Comment un Palestinien peut-il se mettre dans la peau d’un Juif, ces tortionnaires dont les exactions emplissent les mémoires familiales ?

Jean-Claude Fall a mis en scène la pièce utilisant avec pertinence la vidéo. Affiches déchirés, papiers qui traînent partout, images d’actualité qui se bousculent, tout semble dans l’urgence. Sur scène il incarne le metteur en scène au bord de la crise de nerfs, prêt à tout abandonner, demandant sans cesse à quelle heure est le prochain avion et se remettant à fumer, comme tous dans ce théâtre au point de fumer deux cigarettes à la fois pour calmer le stress. Bernard Bloch incarne le directeur qui veut porter le projet jusqu’au bout et sait que la patience et la négociation seront ses meilleures alliées. Alex Selmane est le dramaturge qui essaie d’adapter son texte aux diverses modifications imposées par les uns et les autres et s’échappe vers Jérusalem Ouest de temps à autre, ce qui le met en retard, si bien que lorsque les acteurs sont là, lui ne l’est pas toujours ! Toute la troupe est homogène et il faudrait pouvoir tous les citer.

À travers ce journal au titre ironique, Jours tranquilles à Jérusalem , on entre de plein pied dans une société complètement schizophrène. La division, le désir de vengeance, le déni de réalité, le refus de regarder en face l’histoire conduisent à une violence, à une folie qui gagne. Et pourtant la vie bouillonne, on rit aux blagues qui se racontent, on pleure des horreurs qui sont rapportées, on enrage des situations absurdes qui abondent. Et cahin-caha la pièce avance, elle se jouera, faisant salle comble, sans que le public ne tire sur les acteurs (!). Elle s’exportera en France et ailleurs. L’art comme moyen de dépasser la folie des hommes ?

Micheline Rousselet

Lundi, mardi et vendredi 20h, le jeudi à 19h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h.

Théâtre des Quartiers d’Ivry

Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 90 11 11


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