C’est la cinquième pièce d’Arne Lygre que met en scène le directeur du Théâtre de l’Odéon. C’est la première pièce que le dramaturge norvégien a écrite pour un vaste plateau, avec seize personnages joués par huit comédiens. Stéphane Braunschweig qui poursuit un véritable compagnonnage avec l’auteur, l’a traduite, assisté d’Astrid Schenka, et la met en scène très peu de temps après sa création à Oslo. Comme dans ses pièces précédentes c’est à une exploration pointue des relations dans la famille que se livre l’auteur.
Dans la première partie une mère retrouve sa fille adulte qui vit à l’étranger. Elle a choisi un lieu dont elle aime la sérénité, un banc en contrebas d’un cimetière avec vue sur la rivière. Tandis qu’elles attendent l’arrivée d’Aksle, le frère jumeau de la fille, leur réunion est troublée par l’arrivée d’autres personnages venus au même endroit pour se parler : une famille recomposée réunie pour un deuil et un couple en cours de séparation. Quand Aksle arrive, il annonce qu’il va disparaître, pas mourir mais disparaître. Dans la seconde partie, on est chez l’ex-compagnon d’Aksle, David, pour une petite fête où se retrouvent la mère d’Aksle, des voisins et aussi la mère de David. Celui-ci a choisi de tourner la page après la disparition de son ami, d’autres non.
On retrouve dans cette pièce des thèmes récurrents chez Arne Lygre : l’inquiétude face à la fragilité de la vie, à l’instabilité des existences, à l’impact de décisions individuelles sur la vie des proches. Mais dans cette pièce, à la différence des précédentes, il n’y a pas de situation dramatique. Certes un personnage décide de disparaître, mais il précise qu’il ne veut pas mourir. À cette exception près, les événements sont relativement banals et la parole circule bien entre les personnages, peut-être même plus librement pour ceux de la première partie qui ne se connaissent pas. Pourtant dans la conversation des personnages de la seconde partie on retrouve parfois un écho des thèmes précédemment abordés, comme si la parole entre eux était poreuse.
On retrouve aussi dans la pièce le style de l’auteur. La pièce démarre par la parole de la mère qui dit « Une mère dit : C’est bien ici, en bas au bord de la rivière. Une mère dit : je trouve que c’est merveilleux ici… Une mère dit : ça me rend heureuse de venir ici». Puis la fille parle à son tour et dit « Une sœur pense : voilà ce que maman voulait me montrer ? Une sœur pense : c’est tout ? Une sœur pense : un cimetière inconnu ?… » Derrière l’apparente banalité de la conversation est pointée, d’une façon toute laconique et pourtant si claire, la différence entre ce que dit l’une et ce qu’en pense l’autre. En dehors de David et de Aksle, les personnages sont désignés par leur place dans la famille (une mère, une sœur, un orphelin de père, etc) comme s’il s’agissait d’archétypes.
Stephane Braunschweig signe la belle scénographie de la pièce et une mise en scène précise. Un long banc de bois installé sur un tapis de feuilles mortes évoque le lieu paisible (tout de même en contrebas d’un cimetière !), qu’a choisi la mère. Un salon avec une grande baie vitrée par laquelle on voit tomber quelques flocons accueille la réunion d’amis et de la famille de la seconde partie. Les acteurs et actrices, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal, passent avec fluidité des remarques à la conversation.
Si l’on connaît les pièces précédentes d’Arne Lygre, on pourrait penser que le titre Jours de joie est ironique. Il y a peut-être un peu de cela mais il y a surtout dans la pièce l’idée qu’il faut un certain volontarisme pour faire advenir la joie et qu’elle demande à être cultivée. Un questionnement sur notre aptitude au bonheur.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 14 octobre au Théâtre de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon 75006 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu
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