La grande comédienne Maria Casarès, quelques jours avant sa mort, a légué à la commune d’Alloue, au centre d’un triangle Poitiers, Limoges, Angoulême, le domaine de La Vergne qu’elle avait acheté en 1961. Elle voulait ainsi remercier la France de l’avoir accueillie, ainsi que sa mère, en 1936, après la défaite de la République espagnole dont son père avait été ministre. Les parties les plus anciennes du domaine de cinq hectares, traversé par la Charente, remontent au XVème siècle. Autour du logis principal et d’une tour, les communs ont été transformés en studios pour héberger des jeunes artistes accueillis en création et une grange a été convertie en salle de spectacle. En dépit de sa longue histoire et hormis la grandeur du domaine, tout est simple et modeste dans cette maison, devenue aujourd’hui Centre Culturel de Rencontre et Maison des Illustres.
Le théâtre fut la passion de Maria Casarès. Elle fut un membre important du Théâtre National Populaire de Jean Vilar, participa à la création du Festival d’Avignon, marqua de son empreinte des rôles classiques comme celui de Lady Macbeth, mais créa aussi des œuvres d’auteurs majeurs de son temps, Camus, Sartre, Claudel, Genet ou Koltès. Sa Maison continue à vivre en tant que lieu de création théâtrale en accueillant des jeunes compagnies et l’esprit de Maria Casarès y règne toujours. Quelques meubles espagnols austères, une méridienne, un grand miroir soleil et surtout une bibliothèque aux murs de laquelle figure, aux côtés de quelques photos de corridas, une grande photo des ruines de Tipasa, que Camus avait si somptueusement célébrées dans Noces. La Maison, que fait visiter avec talent la comédienne Johanna Silberstein, codirectrice du lieu avec Matthieu Roy depuis 2017, accueille cette année des installations de Joël Andrianomearisoa. Il y offre un superbe hommage, plein de poésie, à Maria Casarès, avant que de nécessaires travaux nous privent des lieux pour quelque temps.
Après le festival d’été qui a offert pendant quatre semaines un programme articulé autour du théâtre, du patrimoine et de la gastronomie locale, la Maison a offert ses espaces aux Jeunes Pousses. Dans ce dispositif chaque printemps, elle accueille de jeunes metteur.e.s en scène qui vont venir travailler leur premier spectacle après la sortie de leur école. Les deux codirecteurs entament avec eux un travail autour des enjeux artistiques de leur création mais aussi sur les problématiques de production auxquelles ils vont rapidement être confrontés sans toujours y avoir été préparés. L’un des spectacles présenté cet été, Crash, avait d’ailleurs été choisi dans ce cadre en 2019. Le dispositif ayant été bouleversé par la crise sanitaire, l’accueil des quatre metteurs en scène choisis en 2020 a dû être reporté à 2021 et les responsables ont décidé de les accompagner jusqu’à la création de leur spectacle en 2022. Ce dispositif pourrait être pérennisé en se déployant non plus sur un an, comme ce fut le cas dans le passé, mais sur deux ans, la première année étant celle de la découverte des jeunes pousses et la seconde celle de la mise en visibilité de leur travail.
Les 9 et 12 septembre ont donc été consacrés à ces Rencontres Jeunes Pousses. Des extraits des quatre spectacles en cours de travail y ont été présentés.
Vert territoire bleu de Gwendoline Soublin est une dystopie. Après une catastrophe nucléaire, un régime totalitaire s’est mis en place. Les garçons sont assignés à la fonction de soldats dévoués à la défense de la nation victorieuse et les filles à celle de reproductrices. Deux jeunes gens refusant cet état des choses, se sont enfuis et réfugiés dans la zone interdite, saturée d’ondes radioactives. Ils y découvrent une cabane avec un vieux immobile. Tout autour la nature est là, verte, avec des tournesols et des bois où survivent quelques sangliers et des cerfs. La langue que parlent ces adolescents renvoie parfois à une novlangue, semblant sortie tout droit de 1984, rapide, parsemée d’argot, cherchant un effet de peur ou de pulsion de vie. La mise en scène de Marion Lévêque travaille beaucoup sur la lumière : corps affolés des jeunes fuyards dans la nuit, lumière saturée de la cabane qui va les abriter, devant laquelle est installée, dans un fauteuil, une marionnette à taille humaine. Les deux acteurs Yoann Jouneau et Lauriane Mitchell sont ces deux adolescents bien décidés à échapper au sort qui leur est promis et à gagner la liberté quoi qu’il leur en coûte. La pièce a d’ores et déjà été retenue par le Théâtre des Clochards célestes où elle sera jouée du 22 au 26 juin 2022.
Eugen, une pièce de jeunesse de Tankred Dorst, traduite et mise en scène par Youn Le Guern-Herry. Cette épopée fantastique et initiatique d’une marionnette à la recherche d’un humain la conduit à des rencontres incongrues souvent sujettes à quiproquos et aux limites de l’absurde. Ce conte, écrit en 1956, dénonce la société capitaliste et la déshumanisation des rapports interpersonnels qu’elle engendre, avec la distance poétique que permet l’usage des marionnettes. Avec sa co-metteure en scène et marionnettiste Élise Rale, Youn Le Guern-Herry crée un spectacle original mêlant théâtre de marionnettes, théâtre d’ombres, cinéma d’animation et création sonore.
Hervé Guibert, d’après le roman À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, mis en scène par Arnaud Vrech et interprété par Clément Durand, Cécilia Steiner et Johann Weber. Histoire d’Hervé Guibert découvrant sa séropositivité et la rendant publique, la pièce s’organise en trois parties, la première s’attache aux derniers jours de son ami, Musil (Foucault) atteint du SIDA, la seconde à son amitié avec une star du cinéma français contrainte de se battre contre la rumeur qui la dit séropositive, la dernière à Bill, l’ami américain qui a promis un traitement qui n’arrivera jamais. Le travail du metteur en scène sur le jeu corporel des acteurs est très intéressant et augure bien du travail qui va suivre.
Les nuits blanches, d’après Fiodor Dostoïevski, mis en scène par Mathias Zakhar. Un jeune homme et une jeune femme vont se retrouver quatre jours de suite sur un banc, dans la nuit de Saint-Pétersbourg. Lui s’est réfugié dans les rêves, elle cherche à échapper à la prison où l’enferme sa grand-mère et attend l’homme qui lui a donné rendez-vous un an auparavant. Ils vont se parler et se découvrir, écrire l’histoire d’une attente, l’histoire d’un amour. Mathias Zakhar a choisi un dispositif bifrontal qui nous met au plus près du banc où se retrouvent les deux jeunes gens, un banc équipé de roulettes qui permet de les entraîner dans leurs rêves, parfois peuplés par des vidéos en noir et blanc. Anne Duverneuil et Charlie Fabert ont la sincérité, le charme rêveur, l’envie de liberté et le désir d’une autre vie qui anime les deux rêveurs. Ils sont parfaits.
Au terme de la journée on ne peut que saluer le beau travail que réalisent Johanna Silberstein et Matthieu Roy dans cette Maison Maria Casarès, tellement imprégnée de l’esprit du théâtre.
Micheline Rousselet
9 et 12 septembre à la Maison Maria Casarès à Alloue
La Maison Maria Casarès
Domaine de la Vergne
16490 Alloue
contact@mmcasares.fr
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu