C’est l’histoire de Basile et de son papa. Comment faire pour que Basile se lève facilement le matin, prenne son bol de céréales, se brosse les dents, suive la classe de la meilleure des façons possible ? La norme éducative suggère pour tout cela du commandement, du sérieux voire des injonctions de la part des parents ou des adultes : « Brosse-toi les dents ! » ou plus dissimulé : « tu t’es brossé les dents ? » ; « Travaille bien en classe… » C’est d’autant plus difficile pour le papa célibataire de Basile, qu’il prend tout au sérieux alors que Basile aime jouer, laisser libre cours à son imagination, en plus d’être un peu « Dys », dyslexique ou inattentif.  

On a dit histoire, mais c’est tout autant un laboratoire ! En deux actes qui peuvent être deux jours successifs ou  deux expériences en double comparatif, le papa de Basile comprend qu’il faut mieux éduquer avec moins de sérieux, sans renoncer au choses qui doivent être faites, mais en les amenant avec humour, complicité et sens du jeu ; en un mot, en sachant qu’on s’adresse à un enfant, par exemple à Basile qui aime jouer et se distraire mais qui est tout à fait disposé à autre chose de plus sérieux pour peu que les choses ne soient pas amenées avec déplaisir, dans la contrainte rébarbative. Alors tout va bien, c’est bien mieux : le réveil est une joie, le brossage de dents un jeu et l’apprentissage un échange stimulant et plaisant !       

Le psychanalyste britannique Donald W. Winnicott (1896-1971) soulignait l’importance du playing, du jeu ou de l’acte de jouer dans l’éducation et la socialisation des enfants. Un jeu qui n’est pas un game où il y a des règles et où l’enjeu tue le jeu, gagner ou risquer de perdre, toujours en encore la compétition. Le playing est le libre usage de l’imagination pour accomplir des actes de transmission et nouer de saines relations d’échange et de proximité entre des moi d’âges différents.       

Alors histoire ou laboratoire ? Peu importe. Jeu d’Anthony Diaz, auteur et metteur en scène, est un spectacle fort intelligent non seulement parce qu’il est accessible à la fois à un niveau BAC – 15, c’est-à-dire de moyenne section de maternelle et pertinent à un niveau de doctorat en pédopsychiatrie, mais parce que c’est un spectacle plaisant et fin, ludique et plein de charme dans sa forme. Dans un cube noir, deux figures de marionnettes émergent. Une tête et une main devenant corps parfois, suffisent à créer le personnage, l’autre main du manipulateur ou de la manipulatrice sert à tenir la tête. Marionnettes sans fils qui se déplacent librement dans l’espace scénique ou narratif. Basile et son papa sont des figures minérales et minimales, un crâne nu, des sourcils prononcés, un nez rond bien sympathique, tout le monde peut s’y voir. Les scènes se succèdent : moult actions différentes grâce à un petit nombre d’objets très signifiants. Boire un bol de lait peut devenir regarder à la longue vue,  porter une cravate ne nécessite pas forcément d’avoir une chemine, tout en signalant assez l’uniforme de bureaucrate du papa. On distingue les visages de l’actrice et l’acteur, Anastasia Puppis et Vincent Varène, mais cela n’enlève rien à la magie, nous vivons le moment avec Basile et son papa. Des cubes, il y en a plein d’autres dans la scénographie de Grégoire Chombard. Ils servent de castelet ou d’éléments de décors, il suffit de les déplacer et, en changeant de face et de dessin, ils créent de nouveaux univers ; outils marionnettiques modulables, simples et très efficaces – sans parler de la référence subtile aux jeux de cubes de notre enfance ! 

La dramaturgie d’Amel Benaïssa invente son langage, une sémiologie qui en peu de mots mais en plein de signes, objets et gestes donne à voir une histoire et à entendre son sens philosophique. Tous les éléments de Jeu jouent entre eux avec harmonie, comme une belle machinerie de l’imaginaire combinant finesse et efficacité, légèreté et profondeur, simplicité et précision, jeu et sérieux.

La compagnie A KAN LA DÉRIV’ peut se permettre un nom pareil, elle qui sait, sans se prendre au sérieux, indiquer le meilleur cap possible ! Dans la salle, quelques très jeunes personnes et une majorité d’adultes, en apparence… Si vous êtes sages, demandez à vos enfants de vous y mener !

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off. Artéphile, 7 rue du Bourg Neuf, Avignon. Du 5 au 26 juillet 2025, tous les jours à 12h10. (40 min. Tout public dès 3 ans) Relâche les dimanches.

Informations et réservations : https://www.artephile.com/avignon-off-2025-jeu

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