Pour terminer cette année d’hommage à Molière, c’est à Julie Deliquet que l’administrateur général de la Comédie Française, Eric Ruf a passé commande. Elle avait déjà excellé dans la mise en scène de pièces où s’affirmait l’esprit de troupe, comme Fanny et Alexandre, et c’est donc tout naturellement qu’elle a choisi de faire vivre la troupe de Molière.

Elle s’est concentrée sur un moment, les années 1662-1663. Le grand succès de L’école des femmes a suscité une cabale à laquelle Molière décide de répliquer par une nouvelle comédie, La critique de l’école des femmes, où il raille ses détracteurs, puis par L’impromptu de Versailles où il se met en scène dirigeant une répétition. Dans la première partie de la pièce, on est au moment où la troupe débat des questions nées de la querelle de L’école des femmes. Dans la seconde partie liée à L’impromptu de Versailles d’autres questions surgissent et la troupe se trouve confrontée au principe de réalité ! Elle a le soutien du Roi mais si celui-ci exige une création très rapide, la troupe doit se plier à ses désirs quel qu’en soit le prix à payer.

De la sphère privée de Molière, on sait peu de choses. Cela permet donc à Julie Deliquet, après un gros travail de documentation, d’imaginer ce que pouvait être le quotidien de la troupe à ce moment-là. Il y a donc Molière, sa compagne de toujours, Madeleine, administratrice et gestionnaire, aussi bonne comédienne que femme d’affaire avisée, et Armande Béjart la fille de Madeleine que Molière vient d’épouser. À leurs côtés deux excellentes comédiennes, Mademoiselle Du Parc, que les frères Corneille avaient réussi très brièvement à débaucher et Mademoiselle De Brie, qui fut une Agnès mémorable et aussi la première sociétaire de la Comédie-Française, et enfin trois acteurs Du Croisy, Brécourt et La Grange. On les voit vivre au quotidien, sortant du théâtre d’en face encore en habits de scène, se changeant, lavant leur linge, s’inquiétant pour un enfant malade, discutant de leur travail et du salaire de chacun car les décisions se prenaient en commun, avec une égalité entre hommes et femmes.

Mais ce qui intéresse aussi la metteuse en scène c’est que les interrogations de ces femmes et de ces hommes trouvent un écho dans la troupe de la Comédie Française aujourd’hui. La troupe de Molière, des hommes et ces femmes d’une quarantaine d’années, se posent les questions que l’on retrouve dans La critique de l’école des femmes : comment faire face aux critiques, pour qui joue-t-on, le parterre ou la Cour, est-on misogyne quand on critique les femmes, les œuvres doivent-elles être morales, peindre les défauts humains relève-t-il d’une critique de la société ? Ces questions sont toujours actuelles quand on s’interroge sur comment faire du théâtre ensemble ou sur quelle place pour chacun.

Éric Ruf et Julie Deliquet ont placé la troupe dans une sorte de vaste appartement communautaire sur deux étages un peu bohème, où se croisent les personnages. L’éclairage du spectacle évoque celui des bougies et crée une atmosphère qui renvoie au quotidien de la troupe. Les comédiens du Français sont parfaits pour donner vie à ce quotidien et aux discussions qui animent la troupe de Molière. Il y a même deux enfants qui interrogent et sont prêts à prendre le relais de leurs parents quand ceux-ci seront vieux. Les rires fusent, on se coupe la parole, il y a l’agitation d’un collectif, mais cela rend parfois le propos un peu moins audible et c’est dommage. Clément Bresson, dernier venu dans la troupe comme pensionnaire est un Molière flamboyant, défendant ses choix avec passion. Tous les autres explosent de vie et de fraîcheur, Florence Viala (Madeleine Béjart), Adelyne d’Hermy (Armande Béjart), Elsa Lepoivre (Mlle Du Parc), Pauline Clément (Mlle De Brie), Serge Bagdassarian (Du Croisy), Hervé Pierre (Brécourt) et Sébastien Pouderoux (La Grange).

Quand ils s’encouragent tous à la fin pour aller jouer L’impromptu, même s’ils ne sont pas sûrs d’être complètement prêts, on ressent la fragilité et la beauté du théâtre et c’est avec un peu de nostalgie qu’on les quitte à la fin de cette année que la Comédie Française a dédiée à Molière.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 25 juillet à 20h30 à La Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris – Réservations : 01 44 58 15 15 ou www.comedie-francaise.fr


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