Mazarine Pingeot, écrivaine et philosophe, et Léonie Pingeot, sa cousine, auteure et metteuse en scène, ont eu envie d’écrire un spectacle sur Juliette Gréco lorsqu’elles sont tombées sur son interview dans l’émission Radioscopie de Jacques Chancel en 1973 où elle parlait de son enfance, de sa mère et sa sœur déportées et d’elle emprisonnée à Fresnes. Il ne s’agissait pas pour elles d’écrire un biopic ni de créer un tour de chant mais de s’interroger sur l’ identité de Juliette. La question « Qui êtes-vous Juliette ? » est d’ailleurs le fil rouge du spectacle .

Elle est posée de façon insistante dès l’ouverture par le journaliste, maître de cérémonie, inquisiteur, Gaël Sall, qui va chercher dans le public deux spectatrices qui vont être les incarnations de Juliette Gréco. Deux voix, deux figures différentes, celle de Elsa Canovas un peu perdue, enfantine, enjouée et celle de Geoffroy Rondeau perché sur de hauts talons, vêtu de noir qui chante avec une très belle voix grave et sensuelle pour incarner les multiples facettes de Juliette. Elle était tout à la fois fragile et provocatrice, vulnérable et forte, femme enfant et femme fatale, amoureuse passionnée et séductrice revendiquant sa liberté… Elle n’est jamais celle que l’on croit, elle ne veut pas se laisser enfermée dans des catégories et des genres d’où la très belle idée d’avoir choisi une femme et un homme pour refléter sa complexité, son mystère, son identité multiple.

La scénographie est à son image et nous plonge dans un monde réaliste et onirique. Au centre trône une estrade de music hall à paillettes où on s’attend à ce qu’elle se produise, elle l’icône de Saint-Germain-des-Prés, la muse. Mais c’est plus souvent le journaliste inquisiteur qui l’occupe, la pressant à dire qui elle est, pourquoi elle existe alors qu’elle se dérobe, refuse de répondre. Puis des moucharabiehs, des masques faune, des bulles de savon nous entraînent dans un monde irréel, poétique. L’espace se fractionne comme la personnalité insondable, énigmatique de Juliette Gréco.

Raphaël Bancou, multi-instrumentiste au piano, à la guitare électrique, à la basse et à la trompette n’est pas un accompagnateur mais un véritable partenaire de jeu. La musique fait avancer le récit : un air à la trompette rappelle le souvenir de son amour pour Miles Davis, les coups de percussion dans une lumière sombre scande les interrogatoires pendant la seconde guerre mondiale où on veut lui faire avouer qu’elle est juive. Les chansons ne relèvent pas du tour de chant mais sont là pour dire cette identité multiple et flottante.

Un portrait original, touchant et très juste de Juliette Gréco qui nous invite à réfléchir sur nous -mêmes.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 10 février du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h30, le dimanche à 15h30 au Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris 8ème – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr – En tournée les 15 et 16 février, Espace Bernard-Marie Koltès, Metz (57)

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