Stanislas Nordey, en blouson de cuir noir, et Laurent Sauvage en manteau de fourrure discutent, assis à une table. Ils rejouent une scène d’un court film de Fassbinder dans L’Allemagne en automne , tourné en 1977. Stanislas Nordey est Fassbinder et Laurent Sauvage la mère de Fassbinder. Elle a peur après les attentats perpétrés par les membres de la Fraction Armée Rouge et pense que ce qu’il faudrait c’est un « dictateur », mais un « gentil » qui ne brûlerait pas six millions de Juifs et ne s’en prendrait pas aux gays. Ce discours fait écho à la peur qui a saisi les Allemands après les agressions sexuelles de la nuit du Réveillon 2015 à Cologne.

Stanislas Nordey a déjà travaillé avec Falk Richter et il voulait continuer à le faire. Falk Richter souhaitait se pencher sur ce qui arrive à l’Europe, son trouble, sa perte d’identité, sa peur des réfugiés, ses inquiétudes diverses qui poussent certains vers un nationalisme exacerbé. Cela l’a mené vers Fassbinder, un cinéaste qui a marqué sa génération et dont les préoccupations, la façon de regarder l’Allemagne et son histoire et de l’intégrer à son travail, le touchaient profondément. Cette façon de faire un théâtre qui n’est pas à proprement parler un théâtre politique mais un théâtre qui regarde le monde et pose des questions, est aussi celle de Falk Richter.

Théâtre : Je suis Fassbinder
Théâtre : Je suis Fassbinder

La méthode adoptée par Falk Richter et Stanislas Nordey convient à deux hommes qui sont de la même génération et se font confiance. L’auteur a donné aux acteurs des textes et a demandé aux acteurs de choisir dans l’œuvre et les propos de Fassbinder ce qu’ils avaient envie de raconter. Après un gros travail d’improvisation, acteurs et auteur se sont mis d’accord sur quelques textes à partir desquels Falk Richter a écrit de nouveaux textes et enfin la pièce définitive.

Le résultat est assez fascinant. Sur scène on passe de l’ambiance des films de Fassbinder à ses propos, de la situation politique des années de plomb en Allemagne aux questionnements d’aujourd’hui, sans oublier des questions artistiques. Le plateau est jonché de photos de films, d’autres s’affichent sur un grand écran en fond de scène, une petite télévision diffuse des informations et des extraits de films. Stanislas Nordey, le metteur en scène endosse naturellement la figure de Fassbinder. Judith Henry évoque Hanna Schygulla ; elle est l’actrice qui voudrait savoir « où on va », qui voudrait un texte pour pouvoir se préparer. Laurent Sauvage est la mère de Fassbinder et d’autres personnages, Eloise Mignon pose beaucoup de questions et Stanislas Nordey utilise les talents de chanteur de Thomas Gonzalez. Il est extraordinaire, dansant nu, culotte sur les genoux et talons aiguilles aux pieds, faisant tournoyer son sexe sous le nez des actrices. Il est la subversion qui aurait pu manquer au portrait de Fassbinder.

Ce portrait délétère de notre société pourra en gêner certains qui diront que ce théâtre-chronique risque vite d’être dépassé et que le point de vue adopté, centré sur la montée de la peur dans une Europe prête à abandonner ses valeurs et guettée par la montée du populisme, est partiel, qu’il y manque un couplet sur une autre forme de terrorisme, la montée d’un libéralisme destructeur des faibles. La critique peut être entendue, mais le théâtre n’est pas un tract. Cette pièce pose des questions – Falk Richter s’inscrit dans la lignée de Fassbinder dont il dit qu’il est une « sorte d’intellectuel émotionnel »- et ce qu’en a fait Stanislas Nordey et les autres acteurs est passionnant.

Micheline Rousselet

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30

Théâtre National de la Colline

15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 62 52 52


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