Louis, quatorzième du nom, roi de France au règne interminable, finit bien par mourir en septembre 1715 non sans rassurer son entourage : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours ». Ouf ! Car soixante plus tôt, en 1655, le jeune monarque avait inauguré l’absolutisme à la française (qui ne semble pas mort, lui) par une formule plus inquiétante : « L’État, c’est moi ». Trois siècles et demi plus tard, sur un tarmac d’aéroport, nouvelle version du déni de relativisme : la République, c’est moi…

Mais là, qui est ce « je » qui s’en va sans trépasser ni prendre l’avion ? Quelle commune mesure entre un petit « je » personnel et le grand Léviathan qu’est l’État moderne depuis Thomas Hobbes (1688-1779) ? Continuité administrative et juridique de l’État soit, mais s’il est déserté ? On quitte le navire amiral insubmersible… Il demeure, mais dans quel état justement ?

Hugues Duchêne, auteur, concepteur et metteur en scène de cette fresque et farce politique est un transfuge de science-po et des Jeunes Socialistes vers l’École Supérieure d’Art Dramatique de Lille puis la Comédie Française comme élève comédien. A cet égard, il est bien parti mais la politique ne l’a pas quitté alors que l’intime le rattrape ! Théâtre politique documentaire augmenté d’autofiction, la chronique qu’il nous propose avec sa compagnie du Royal Velours commence en 2017 avec l’accession de Macron à la tête de l’État et dure tout son (1er) quinquennat. Coté intime, 2017 est aussi la naissance du neveu de l’auteur qui aura donc cinq ans à la fin du mandat présidentiel et du spectacle, en 2022. Le temps collectif et celui privé percutent celui du théâtre qui le leur rend bien.

Tout au long du spectacle, la référence récurrente au neveu – très jeune encore et néanmoins promu représentant de la nouvelle génération, celle qui aura raison plus tard d’insulter ses aînés pour l’état dans lequel ils lui auront légué la société et la planète – servira à interroger naïvement ces cinq années de vie politique. Il faut reconnaître qu’elles ont été aussi chaotiques qu’inédites, cascade d’événements très singuliers : accession d’un opportuniste élitiste à la tête de l’État, mouvement insurrectionnel des Gilets Jaunes, crise du Covid et, cerise sur le gâteau (assez indigeste déjà) une guerre en Ukraine ! Le tout sur fond de dérèglement climatique et de montée un peu partout de l’autocratisme, du populisme et du nationalisme.

« Tonton peux-tu me dire comment on en est arrivé là ? » interroge le nourrisson par la bouche et l’esprit taquin du tonton. Pour répondre, ce dernier et sa troupe de politiqu’art constituée d’une dizaine de comédiens.iennes rencontrés.es à l’Académie de la Comédie française, vont découper le quinquennat en six épisodes thématiques : l’année de la Présidentielle de 2017, l’année judicaire et les procès anti-terroristes entre septembre 2017 et juillet 2018, le monde parlementaire et le mouvement des Gilets jaunes, l’année médiatique et le Covid, les sujets diplomatiques et enfin l’élection présidentielle de 2022 avec le phénomène Z…

Impossible d’entrer dans les détails et questionnements passionnants, drôles et décomplexés de ces huit heures de spectacle (proposé en intégralité ou en deux parties avec des pauses entre chaque épisode). Disons cependant que le charivari sur scène est permanent, à l’image du tumulte du pays durant ces cinq années. Les huit comédiens jouent tous ensemble ou à tour de rôle et plusieurs personnages chacun. Sur scène ou à l’écran, on retrouve, en caricature ou en image, Jean-Michel Ribes, François Hollande, Gaspard Gantzer, Emmanuel Macron, Frédéric Beigbeder, Jacques Alain Miller, Éric Zemmour, des conseillers en communication, des militants d’extrême droite ou des bobos et bien sûr Milène Farmer ! C’est disséqué et ébouriffant, et cependant facile à suivre car c’est nous, une tranche de vie publique que nous venons tout juste de vivre ne serait-ce que comme spectateurs devant notre petit écran sauf que là c’est en live ! Amour, haine, jalousie, espoir crainte, tous les affects de la politique sont convoqués. « France périphérique », médias, sexe, climat, économie, sondages, extrémisme, élections, etc., tous les sujets sont abordés et même pris à l’abordage dans un jeu en zapping qui se fait entièrement à vue avec accessoires, costumes et batterie, sans coulisse mais non sans malice, comme ces moments où tous les comédiens d’un même geste magique changent fictivement de personnalités pour éviter toute identification !

Humour, réalisme et intelligence. Ce théâtre documentaire n’est donc point menteur mais il sait jouer habilement avec les vérités en évitant d’en asséner à coup de massue. Le théâtre d’Hugues Duchêne fonctionne aussi comme un rendu d’expériences, voire d’aventures personnelles à haut risque. Dans le contrat que l’auteur s’impose et qui s’affiche durant les entractes sur l’écran, il est dit : « art. 3 – L’auteur va partout où il se passe quelque chose de symbolique et de révélateur de l’État de notre pays. Partout, en France, et parfois à l’étranger. » Et « art. 3 bis – L’auteur va particulièrement là où il n’a pas le droit d’aller. », c’est tout dire.

L’auteur est donc parti pour mieux revenir, il a quitté le politique pour le pôle éthique ! Même de façon subliminale, les ébats de plateau engagent un débat sur les valeurs. Mais qu’est-il répondu à la question du neveu ? L’auteur laisse la question ouverte mais une réponse possible se dégage du spectacle, intentionnellement ou non. De ce tourbillon de politique spectacle que ce spectacle politique présente, il émane une sorte de leçon que l’on formulera en plagiant Rabelais : Politique sans conscience n’est que ruine de la cité.

Il faut voir Je m’en vais et l’État demeure, c’est au moins aussi instructif qu’un stage à science-po en plus d’être un théâtre fulgurant et innovant. Tout fout le camp mais le théâtre demeure !

Jean-Pierre Haddad

Théâtre 13 site Glacière, 103 A, boulevard Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Du 7 au 26 juin.

Le 2 juillet 2022 au Festival Malaze d’Annecy (74). Le 27 août au Festival Pampa de Sainte-Foy-la-Grande (33). Le 24 septembre 2022, à La Condition Publique, Roubaix (59). Du 19 au 22 octobre 2022 au Théâtre Universitaire de Nantes (44).

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