À la fin des années 40, Adèle Bloom, jeune employée des postes un peu exaltée, est placée dans un hôpital psychiatrique, à Halifax au Canada, à la demande de sa mère. Elle va y rester huit ans, soumise aux brimades de l’infirmière chef Miss Wilford et surtout aux expérimentations du célèbre Docteur Walter Freeman, celui-là même qui a lobotomisé Rosemary Kennedy, la sœur de John et Robert, la ramenant à l’état d’une petite fille de huit ans, incontinente et quasi-muette. En dépit des brimades, des punitions, de l’angoisse constante d’être sur la liste de celles qui vont subir des électrochocs ou une lobotomie, Adèle ne cessera de se battre pour écrire. Aidée par une tante, elle réussira à sortir de cet enfer grâce à la publication de son livre couronné d’un prix littéraire prestigieux.

Inspirée de faits réels, la pièce de Franck Harscouët fait écho au destin d’Adèle Hugo, à celui de la fille cachée des Kennedy, de l’actrice Frances Farmer et de la romancière néo-zélandaise Janet Frame internée durant plusieurs années, qui n’échappa à la lobotomie que grâce à la parution de sa première nouvelle littéraire. On y croise aussi la figure du Docteur Freeman, le précurseur de la lobotomie transorbitale, qui se vantait au mépris de toute considération éthique, de désengorger les hôpitaux psychiatriques au moyen de cette technique « simple, rapide et peu coûteuse ».

Dans la mise en scène de Franck Harscouët, Adèle Bloom, brillamment interprétée par Armelle Deutsch entre valise à la main dans une chambre austère qui semble avoir tout de la normalité, lit en fer, armoire, table et chaise. Celle, qui affirme envers et contre-tout « je m’appelle Adèle Bloom », ne sortira de cet enfer qu’à la fin, à bout de souffle. Philippe d’Avilla incarne le médecin monstre froid enfermé dans ses certitudes, glaçant par son arrogance et son absence totale d’empathie. La même actrice, Sophie-Anne Lecesne, incarne les deux infirmières qui se succèdent, Miss Wilford sèche et glaçante, puis Miss Clarck à l’écoute et compatissante, qui la remplacera quand s’imposera la nouvelle psychiatrie à la fin des années 50. Elle incarne aussi la mère d’Adèle, dont les visites timides révèlent une alternance de culpabilité et de rejet, et enfin Poppie. Internée de longue date dévoilant les ténèbres de cet hôpital à Adèle ou amie imaginée pour échapper à la solitude ? Laura Elko enfin est poignante en Rosemary Kennedy, pratiquement muette portant son double en marionnette ou jouant du Chopin au piano.

Une pièce qui interroge sur la situation de ceux que la société taxe parfois si facilement de « fous », sur l’état auquel les réduisent parfois des traitements médicaux radicaux, sur l’arrogance des médecins et des soignants et sur la force et le courage qu’il faut pour résister à tout cela.

Micheline Rousselet

Du 7 au 30 juillet dans le Off d’Avignon à La condition des Soies à 21h40


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