Une femme est allongée, on entend les tip-tip répétés d’un moniteur, elle est à l’hôpital, un homme est debout auprès d’elle. Il dit « réveille-toi …  pardon ». Il s’énerve contre elle, redemande pardon, se justifie, dit « ce n’était qu’une toute petite chute ». La femme se réveille, elle ne se rappelle de rien, écoute cet homme qui lui dit « on va recommencer à zéro … on rentre ».

L’engrenage de la violence conjugale est en marche. L’homme dit que ce qui est arrivé est normal, que dans un couple on se dispute, qu’ils sont un couple que tout le monde envie, qu’elle au moins n’a pas une vie d’un mortel ennui. Il dit qu’il « veut tenir les choses comme un homme », il crie, ordonne, lui enlève son téléphone, fait le vide autour d’elle. De la violence verbale à la violence physique le pas a vite été franchi. Les passages à l’hôpital après des tabassages en règle, les plaintes sans suite au commissariat, les procédures interminables, les départs et les retours au foyer, cette femme les vit pendant des années jusqu’au drame final.

Claire Bosse-Platrière, à la fois autrice et metteuse en scène s’est plongée au cœur de la violence conjugale en réussissant à dépasser une approche purement sociologique et documentaire, dans une langue rapide, des phrases qui claquent, sans verbe parfois, des sons, des émotions. On ne sait rien de ce couple, ni leur nom, ni leur emploi. Ce qu’on sait de lui c’est cette relation d’appropriation sur sa femme, cette capacité à s’aveugler sur sa propre violence, à dire sans cesse que tout va changer, à demander pardon pour mieux recommencer. Ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle est, ou a été, très amoureuse, qu’elle est perdue et isolée et que les institutions ne sauront pas la protéger.

Pas de décor, un silence troublé parfois par des bruits du quotidien ou de la musique électronique (Victor Pavel), et le corps des acteurs qui émerge de l’obscurité, sculpté par la lumière. Elisa Habibi apparaît en amnésique perdue et fragile, manipulée, emportée par la violence de cet homme, victime de l’isolement qu’il lui a imposé et incapable de s’en libérer jusque dans l’acte final. Bouche ouverte dans un cri, elle est émouvante quand elle parle de la peur permanente, mais on peut regretter qu’elle hypertrophie dans son jeu la fragilité de cette femme sans jamais en décoller. Laurette Tessier incarne d’autres femmes, voisine d’hôpital (scène très peu convaincante), infirmière, ambulancière et surtout l’amie qui a vu et entendu mais a préféré se replier sur son petit bonheur personnel et n’a pas « voulu s’en mêler ». Paul Delbreil incarne à la perfection cet homme narcissique, qui insulte, rabaisse puis demande pardon, isole sa femme pour mieux la briser tout en lui répétant qu’il l’aime.

Une histoire particulière, qui parle de ces violences faites aux femmes et rappelle qu’en France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son compagnon.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 21 décembre au Théâtre Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris – du dimanche au mardi à 21h – Réservations : 01 42 36 00 50

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