Splott est un de ces quartiers de Cardiff que la désindustrialisation, le chômage et la paupérisation ont transformé en zone, où traînent alcooliques et drogués. Effie est de ceux-là. Elle va de gueule de bois en gueule de bois, n’a pas de chez elle, partage le lit d’un « blaireau » qui lui ressemble. Elle a juste une « mémé », qui se rappelle comment c’était avant, et lui donne un peu d’argent. Ceux qui la croisent dans la rue évitent de la regarder, mais l’insultent en silence. Un jour elle a un coup de foudre pour un homme vu dans un bar. Elle sent que sa vie va en être bouleversée.
Ce texte de Gary Owen, dramaturge et scénariste gallois, admirablement traduit ici, est une déflagration dont on peine à se remettre. Écrit d’une plume cinglante et crue, le monologue d’Effie est le cri de détresse d’une jeunesse en colère contre la société qui condamne ceux qui n’ont pas la chance d’être né au bon endroit. Pour oublier la pauvreté, l’absence d’avenir, la faillite des familles, il ne leur reste que l’alcool, la drogue, la fête. Pour autant on ne sort pas assommé du monologue d’Effie, cette Iphigénie des bas-fonds. Si les hommes qu’elle rencontre relèvent plutôt de la catégorie des « gros cons », elle est une Iphigénie combative, furieuse et drôle qui parvient, avec un humour caustique et vengeur, à rire d’elle-même et de sa vie et à trouver où faire passer un rayon d’espoir.
Le metteur en scène belge, Georges Lini, a souhaité et réussi à garder « le raz de marée émotionnel que lui avait procuré la première lecture de la pièce » et ce n’est pas par hasard que la pièce a connu un énorme succès au festival d’Avignon 2023. Georges Lini a trouvé une comédienne exceptionnelle, Gwendoline Gauthier, et a construit sa mise en scène en lien étroit avec la musique. Pierre Constant à la basse, Julien Lemonnier (qui a entre autres fait la musique de Illusions perdues mise en scène par Pauline Bayle) au synthé et François Sauveur à la guitare et au violon composent un univers sonore post-rock qui accompagne Effie dans sa colère, son angoisse ou son déchaînement dans la danse. Ils aident aussi la comédienne à cadencer son monologue de guerrière.
Gwendoline Gauthier, en jogging, blouson et petit bonnet, est cette zonarde des quartiers que le libéralisme de Margaret Thatcher et de ses successeurs a abandonnés. En roue libre dans sa rage et sa révolte, elle va s’illuminer en lâchant ses cheveux pour danser et séduire celui qu’elle a choisi. Elle épouse le phrasé plein de fièvre de Gary Owen, accélère le rythme avec fureur, encaisse les coups, crache sa colère et cache son désespoir. Ce qu’elle vit n’est pas seulement un drame personnel, c’est aussi un drame politique. Elle est puissante, bouleversante dans son indignation et sa fureur de vivre.
Intense, brûlante la comédienne emporte le public dans la rage d’Effie contre cette société libérale qui sacrifie les laissés pour compte et n’hésite pas à couper drastiquement dans les services publics au mépris de ce qui nous permet encore de faire société. Un spectacle à voir absolument.
Micheline Rousselet
Spectacle vu au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris le 18 novembre – Large tournée ensuite : 22 janvier au Triangle à Huningue, 24 janvier au Théâtre Gérard Philippe de Frouard, 25 janvier au Centre Culturel Jean l’Hôte à Neuves-Maisons, 30 janvier Morteau, 31 janvier Pontarlier, 11 février au Théâtre d’Aurillac, 13 février Théâtre des Deux rives à Charenton-le-Pont, 25 février Centre Culturel Jacques Duhamel à Vitré, 26 février à Morlaix, 28 février au Vallon à Landividiau, 4 mars au Théâtre de Laval, 6 mars au Piano’cktail à Bouguenais, 11 mars théâtre Jean Vilar à Bourgoin-Jallieu, 12 mars au Toboggan à Décines, 13 mars à l’Heure Bleue à Saint-Martin d’Hères, le 22 mars au Théâtre Jean Marais de Saint Gratien, le 25 mars au Théâtre de Chartres, 27 et 28 mars au Tivoli à Montargis, 1er avril au Théâtre de Pézenas, 2 et 3 avril au Théâtre Jean Vilar de Montpellier, d’autres dates encore à trouver sur le site
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