« Théâtre sonore avec suspension. Tout public dès 1 an » dit la feuille de salle. C’est vrai mais c’est peu dire car Infantia est aussi un conte coloré et musical, un poème mimé sur l’accès au langage. Dans un jardin merveilleux donc parfaitement artificiel, une forme animale prisonnière d’une gangue de toile rouge se débat pour s’en extirper, une venue au monde s’annonce. Mais le monde humain est un monde parlé, un monde de signes. C’est pourquoi cette naissance se produit juste sous l’arbre à mots comme un nouveau-né immédiatement baigné de paroles. Le corps de l’Infans « celui qui ne parle pas » est maintenant libéré. Au sol, à hauteur des enfants assis au bord du jardin, il découvre en suspension au-dessus de lui une végétation polychrome, polyphonique, polysémique. Ses oreilles jettent des regards de tous côtés et ses yeux s’emplissent de la musicalité du langage. Des branches de l’arbre à mots pendent des rubans multicolores. Ici pas de fruit défendu, tout mot est bon à croquer, tout est permis au jardin de la découverte jubilatoire des syllabes, vocables et phrases. Imiter, reproduire, se nourrir de ces sons signifiants comme on jouerait d’un xylophone aux mille nuances. L’enfant cesse d’être infans et devient l’Enfant parlant le monde. A même l’herbe, une petite fille entre en interaction avec lui, échanges de pelotes de phrases tricotées. De la conversation nait une conversion vers autrui. La langue est un pays de partage. L’Enfant, interprétée avec finesse, délicatesse et adresse par Margot Charon, cueille les mots-fruits Je, Non, Zoo… Ses déplacements à pas de velours font danser et vibrer le jardin du langage. « Là tout n’est qu’arbre et beauté, sons et sens en volutes » pour plagier Baudelaire.

En voix off et basse, des extraits d’un entretien avec Edgar Morin sur la Pensée Complexe. S’en étonne-t-on ? Non et pour deux raisons. Primo, des premiers mots inventés par la rencontre des sons articulés et des expériences de la vie sur tous les territoires du globe par nos congénères préhistoriques au discours philosophique, il y a continuité. Depuis toujours et pour toujours, le mot est signe conventionnel, quelque chose pour quelque chose d’autre disaient les Scolastiques, medium et possibilité d’abstraction par rapport au monde concret. « Pomme » est le mot d’une chose que l’on croque, mais il n’est pas une chose à croquer, écart de signifiance. Deuxio, la Pensée Complexe est un phénomène émergeant exactement comme le langage depuis ses rudiments jusqu’à ses prolongements les plus sophistiqués. Spontanéité des causes, multiplication des facteurs, agencements combinatoires et tissages conceptuels, ces opérations liées aux potentialités du cerveau humain sont à l’œuvre aussi bien dans l’apprentissage de la parole par un enfant que dans l’élaboration de la pensée savante. Si Infantia est bien un spectacle « à partir de 1 ans » il peut réjouir de grands enfants de 101 ans,  l’âge actuel d’Edgar Morin. L’écriture, la scénographie et la mise en scène de Stéphane Fortin rivalisent entre elles d’originalité et d’intelligence, c’est du grand art pour tout petits ! Sans oublier l’univers sonore et musical de Céline Villalta. Bravo au Théâtre Bascule !

Infantia aurait parfaitement sa place aussi bien sur un plateau « de grands » qu’aux récréations des amphithéâtres de linguistique ou de paléoanthropologie.

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off. Le Totem, 20 avenue Monclar. Du 9 au 26 juillet à 16h. sauf les 10, 17 et 24. Tel. 04 90 85 59 55.

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