Séverine Chavrier, comédienne, musicienne et metteuse en scène nous a habitués à des mises en scène décapantes. Elle avait déjà étonné le public avec celle de Nous sommes repus mais pas repentis au Monfort. Elle se lance à nouveau dans une adaptation d’un texte de Thomas Bernhard, non plus une pièce de théâtre mais un roman, La Plâtrière.
Les personnages du roman sont un couple. Ils ont dû s’aimer, ils ne se haïssent pas vraiment, mais ils ne se supportent plus. Dans une vie antérieure il l’a accompagnée dans ses voyages. Désormais appauvris, ils se sont enfermés dans une ancienne plâtrière où Konrad se consacre à son grand œuvre, un traité sur l’ouïe, dont l’écriture exige que rien ne le dérange. Elle ne peut plus marcher, il doit prendre en charge les tâches domestiques tout en se consacrant à cette œuvre. Sans cesse dérangé par une femme exigeante, par des chasseurs hantant la forêt environnante, par des gens qui font des travaux dans le sous-sol de la plâtrière, par l’aide-soignante qui doit s’occuper de sa femme, il devient de plus en plus paranoïaque, ferme toutes les issues, s’arme et arme sa femme. Des milliers de page s’amoncellent dans le plus grand désordre dans une cave et il y a longtemps que sa quête d’absolu l’a conduit dans une impasse stérile.
Séverine Chavrier s’est complètement imprégnée du roman pour en trouver une transcription en textes, mais surtout en images, en lumières, en sons. Le texte d’abord avec sa misogynie, ses mots ressassés, l’accumulation des synonymes. La plâtrière ensuite, entourée par la neige, la forêt, visitée par des personnages masqués mystérieux inquiétants. Qui sont-ils, d’anciens ouvriers de la plâtrières, des ouvriers chargés de faire des travaux, des livreurs de repas ? L’extérieur ne cesse de faire irruption bruyamment dans ce monde en ruine et sans visage que Konrad voudrait, au moins, silencieux. Le bruit des pas qui crissent dans la neige est amplifié, les portes claquent dans un vacarme assourdissant, les ouvriers cognent dans les murs, les voix résonnent, les perceuses se mettent en action. Le percussionniste Florian Satche, installé sur un côté de la scène, crée une ambiance angoissante qu’accentue le travail sur les lumières de Germain Fourvel. Le drame s’est noué dès le début, le spectateur le connaît, mais tout devient inquiétant, même les chants d’oiseaux. Ce huis-clos étouffant est porté par Marijke Pinoy, en Madame Konrad réclamant sans cesse, agitant sa clochette en donnant des ordres et Laurent Papot, en Konrad qui défonce les cloisons à la hache quand sa femme lui ordonne d’ouvrir les fenêtres et qui ne cesse de détruire ses notes pour que personne ne s’en empare. Capables de passer de la rancœur de la détestation à l’humour, car le texte en recèle aussi, ils sont toujours présents sur le plateau où la vidéo les suit et révèle leurs visages en gros plan.
Décor, musique, sons, lumières, jeu des acteurs tout contribue magnifiquement à épouser l’univers pessimiste et misogyne de Thomas Bernhard. Une mise en scène qui fera date.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 27 avril, Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, 75017 Paris – du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h –
Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu
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