Le couple que formèrent Louis Aragon et Elsa Triolet, unis par l’amour et l’engagement politique, est devenu emblématique. Didier Bezace s’est associé à Bernard Vasseur, directeur du Moulin de Villeneuve dans les Yvelines où les deux écrivains vécurent et reposent côte à côte, pour choisir dans leurs écrits les textes de ce spectacle. Il en fait un montage adroit où les poèmes des Yeux d’Elsa et du Fou d’Elsa alternent avec le roman Aurélien, le texte érotique du Con d’Irène avec la nouvelle burlesque Les voisins tirée de Servitude et grandeur des Français . Le lyrisme des poèmes amoureux d’Aragon, les extraits des Carnets enterrés sous un pêcher et des lettres d’Elsa laissent des interstices où s’infiltre l’époque avec l’occupation et la Résistance.
Ariane Ascaride chaussée d’escarpins, en robe noire juste éclairée par l’éclat d’un bijou, et Didier Bezace en costume sombre, sont assis côte à côte sur de hauts tabourets devant un pupitre et un micro. Leurs voix se répondent et murmurent l’amour, mais aussi les contradictions du couple et la peur de se perdre. Lui, le fou d’Elsa chante ses yeux (« tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire »), et elle dit « Je voudrais écrire pour plaire à un homme » et s’inquiète de son amour « Qu’est ce qu’il pense ? Il faudrait que je lui demande et on se mettra aussitôt à mentir ». Elle allie la cruauté à l’amour en disant « Je ne veux pas te mentir, je ne t’attendrai pas. Je prendrai un amant. Si cela te déplaît, arrange-toi pour ne pas les laisser te prendre ».
Le dispositif est très sobre, juste animé par une bande son et le changement des couleurs de la lumière sur le mur du fond (Dyssia Loubatière). Il laisse toute la place à la musicalité des poèmes, à la force des textes que vient juste rompre une scène de perquisition pendant l’Occupation tout à fait burlesque, où les deux comédiens rompent brusquement avec le ton des poèmes et des lettres. Dans la petite salle du Lucernaire toutes les expressions des visages des acteurs sont perceptibles. Les yeux parlent quand ils se lèvent vers la salle, le sourire instaure complicité, amusement, admiration réciproque et les mains s’expriment elles aussi.
On déguste avec bonheur les mots de ces deux amoureux de la parole et l’émotion nous étreint quand leurs voix alternent pour dire « qu’il n’y a pas d’amour heureux ».
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 18h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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