Jean Bellorini, directeur du Théâtre National Populaire de Villeurbanne, invité à créer une pièce par le Teatro Stabile de Naples, a choisi de mettre en scène Tartuffe, avec les acteurs de la troupe. Il n’avait jamais mis en scène Molière et le faire en italien, la langue d’où Molière a tiré le nom de Tartuffe pour son personnage, lui plaisait bien. Retardé par la pandémie le projet arrive enfin en France aux Amandiers à Nanterre, coïncidant avec le quatre-centième anniversaire de la naissance de Molière.

On est dans une grande cuisine à l’ancienne avec sa cuisinière émaillée, son évier, sa grande table, une méridienne aussi car dans un pays qui honore la cuisine, c’est une vraie pièce à vivre. Cléante somnole dans la méridienne, Dorine mitonne pâtes et sauces sous le regard d’un homme torse nu en manteau orange « installé » comme un Christ sur le grand crucifix. Cependant il est bien vivant et nous réservera une surprise à la fin ! Le texte de Molière est là et pourtant on est plongé dans une comédie à l’italienne avec les déclarations excessives comme savent les faire les Italiens, menaçant de se tuer ou de tuer quelqu’un plusieurs fois par jour (je mourrai si on m’oblige à épouser Tartuffe dit Marianne et Damis s’emporte violemment pour défendre son père). Les poursuites autour de la table et les explosions de colère, telle celle de Dorine (Angela de Mateo) tapant violemment la pâte qu’elle pétrit ou jetant en l’air la farine, finissent même une fois par un passage subreptice au français ! Quant au « poverino » son comique n’a rien à envier au « le pauvre homme » de Molière.

Cette cuisine est le lieu du passage. Tout le monde y entre ou en sort. Quand il y a des apartés, Jean Bellorini les installe astucieusement à l’avant de la scène dans deux cercles lumineux. Des chansons italiennes ponctuent le passage d’un acte à l’autre. L’orage gronde et il y a de la sensualité dans l’air. Dès le début des petits escarpins rouges trônent dans la lumière sur le côté de la scène. Ils seront aux pieds de Marianne quand elle se cachera sous la table avec son amoureux et aux pieds d’Elmire dans la grande scène où elle entreprend de séduire Tartuffe pour éclairer son mari. Comble du comique, Tartuffe sous sa robe de curé révèle des socquettes tout aussi écarlates.

Tartuffe (Federico Vanni), en longue robe noire et barrette sur la tête, a l’allure d’un curé grassouillet oubliant presque son bénédicité pour se jeter sur ses spaghettis. Onctueux à souhait dès qu’Elmire approche, il fait contrition pour ses fautes, se traîne à genoux avec un excès tel qu’ il est sûr de convaincre Orgon prêt à tout croire (Gigio Alberti). Cléante (Ruggero Dondi), le parangon de raison frère d’Orgon, a tout d’un vieux beau italien avec sa tenue à l’élégance originale et sa démarche de danseur de salon. Madame Pernelle (formidable Betti Pedrazzi) est installée dans un fauteuil roulant mais dans ses excès de colère l’oublie pour ouvrir la porte d’un coup de pied ou pour marcher normalement. Elmire (Teresa Saponangelo) se lance dans sa scène de séduction en ôtant sa veste et son foulard avec ostentation, caresse sensuellement du pied la jambe de Tartuffe avant de se débrouiller pour approcher ses seins de la bouche de Tartuffe car il faut bien arriver à l’obliger à se révéler.

Après les mises en scène plus politiques et psychanalytiques, plus sombres aussi, que l’on a pu voir cette année, cette version de Tartuffe, est un hymne à l’envie de vivre libre tout à fait réjouissant.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 27 mai au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre – mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h –

Réservations : 01 46 14 70 00 ou nanterre-amandiers.com

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