L’essayiste, rabbin dans l’Association Judaïsme en mouvement et directrice de la revue de pensées juives Tenou’a, présente un monologue contre cette obsession de plus en plus envahissante chez bon nombre de nos contemporains et de nos politiques. Pour parler de l’identité, de l’appartenance, de la filiation, de ces sujets devenus sources de bien des crispations, elle s’est souvenue de Romain Gary qui s’était créé un avatar, Émile Ajar, et avait réussi ainsi à obtenir deux fois le Goncourt, ce qu’avait révélé Bernard Pivot en 1981. En se suicidant Romain Gary avait aussi réussi à tuer deux auteurs à la fois ! Pour inviter les spectateurs et spectatrices, croyants ou non, à s’exiler d’eux-mêmes pour partager sa vision d’un théâtre qui parle de notre époque avec humour, Delphine Horvilleur invente à son tour un personnage, Abraham Ajar, fils d’Émile, débusqué dans une cave où il se cache. Jouant des mots et sur les mots, l’auteur délivre son message avec un humour provocateur. Elle remonte à Abraham, père de tous les Juifs, né à Ur, capitale des mots croisés (!) et évoque sans hésitation la circoncision qui fait du Juif un être incomplet (!) ou le nom de Dieu écrit dans la Bible comme une suite de consonnes, donc imprononçable. Elle n’hésite pas à poser des questions iconoclastes « pourquoi Dieu s’adresse-t-il aux Juifs en hébreu ? » ou à faire des remarques qui le sont tout autant : « on a beaucoup de preuves de sa non-intervention et au XXème siècle il s’est surpassé » et elle ne se prive pas de faire des allusions à l’histoire contemporaine. Les mots sont irrévérencieux et drôles pour une pensée fine et érudite.

Le spectacle a été pensé par Delphine Horvilleur avec son ami le philosophe et psychanalyste Stéphane Habib et la comédienne Johanna Nizard, auquel s’est joint pour la mise en scène Arnaud Aldigé. En Johanna Nizard, Delphine Horvilleur a trouvé une interprète capable de toutes les métamorphoses, homme, femme en collant psychédélique ou clown androgyne. On est dans l’ambiguïté dès le début, en voyant cet être à la tenue plutôt masculine et à la voix caverneuse. Homme ou femme ? Unique ou pluriel ? L’illusion théâtrale est renforcée par la scénographie, une boîte noire au sol couvert de plastiques noirs avec des lamelles miroitantes dont les reflets contribuent à troubler le regard.

Un spectacle brillant et bourré d’humour pour refuser l’enfermement dans les obsessions identitaires, rappeler que chacun a de multiples appartenances et appeler à la fraternité.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 7 octobre aux Plateaux Sauvages, 5 rue des Plâtrières, 75020 Paris – du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 17h30 – Réservations : 01 83 75 55 70 ou billetterie.lesplateauxsauvages.fr – en tournée ensuite : le 8 novembre au Théâtre Jean Vilar de Suresnes, le 18 novembre au Théâtre de Sens, du 29 novembre au 3 décembre au Théâtre Romain Rolland de Villejuif, du 13 au 23 décembre au Théâtre du Rond-Point.

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