Comme chaque semaine le Comte se rend chez la Marquise le jour où elle tient salon. Il craint qu’elle ne soit entourée de la foule habituelle des importuns, mais ce jour-là la météo en a décidé autrement et le Comte voudrait en profiter pour dire son amour à la Marquise. Commence alors une joute amoureuse où chacun se cache derrière l’ironie par peur d’être repoussé, masque ses sentiments par peur d’être ridicule. Les deux amants se rejoignent, se repoussent, puis se perdent pour mieux se retrouver.
C’est en 1845 que Musset a écrit cette courte comédie en un acte et la modernité du texte surprend toujours. Quand on a aimé – la Marquise est veuve et le Comte est connu pour avoir eu de nombreuses liaisons – peut-on faire confiance à nouveau, surmonter ses doutes et ses peurs, se livrer sans la crainte d’être trompé ou évincé ? La Marquise tient au Comte un discours très féministe sur la vanité des discours que les hommes tiennent aux femmes pour leur plaire, et dont elles sont loin d’être dupes, un discours que le Comte ne peut entendre !
Jouant de la modernité du texte Anne-Sophie Liban et Matthias Fortune Droulers ont choisi de placer le couple dans un décor d’aujourd’hui. La Marquise a le portable en main, le consulte en même temps qu’elle regarde une série sur l’écran de son ordinateur. Un écran avec feu de cheminée crée l’ambiance cosy qui convient par un jour de froidure. Le ton choisi est celui de l’ironie qui flirte parfois avec le burlesque. On entend la musique de Game of Throne , une série pleine de combats justement ! Quand la relation se calme, la chanson C’est l’amour à la plage prend le relais. Les éclairages permettent d’isoler le Comte devant la porte un bouquet à la main – mais justement il a perdu les fleurs en route – ou la Marquise dans un fauteuil devant son écran.
À ce jeu du « Je t’aime, moi non plus », la Marquise est passée maître et Anne-Sophie Liban épouse à merveille le rôle. Coquette, riant de tout, ce qu’il lui reproche d’ailleurs, elle le met au défi lui demandant « Est-ce une déclaration ? », sûre de l’embarrasser. Capable de passer de la moquerie au sérieux, sans jamais tomber dans le grave, elle hésite, se lâche, sors, reviens, drôle mais touchante aussi. Matthias Fortune Droulers campe un Comte, qui semble plus prêt à dévoiler ses sentiments mais quand la Marquise tend vers lui son visage, il recule au dernier moment. Il n’hésite pas à s’engager dans le ressort burlesque avec des tentatives de suicide qui avortent lamentablement puis revient au sérieux disant à la Marquise « Vous vous piquez de dire vrai et vous ne voyez que mensonge ».
C’est une sorte de mise en abyme que permet le choix de traiter le texte avec une ironie qui fait écho à celle de la joute amoureuse qui met aux prises les deux amants et les deux acteurs passent avec aisance d’un registre à l’autre nous offrant le plaisir d’entendre ce texte brillant de Musset trop peu représenté.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réduc’SNES sur réservation : 01 45 44 57 34
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