Un homme est arrêté, transporté comme du bétail et incarcéré dans un camp. Mis à nu, tondu, tatoué, on lui enlève tout, même son nom, il n’est plus qu’un numéro qui ne porte la trace que de la date de son transfert et du numéro du convoi qui l’a amené au camp. Désormais, son seul objectif consiste à survivre, jusqu’au printemps tout au moins. Il ne pourra surmonter la faim, la soif, le froid, le travail forcé, les coups, les appels épuisants sous la morsure du gel qu’en assimilant les codes, aussi obscurs que barbares, du camp. « Ici, il n’y a pas de pourquoi, la raison d’être d’un camp, c’est la démolition de l’homme ».
Primo Levi, aidé par Pieralberto Marché, avait tiré une adaptation théâtrale de son chef-d’œuvre Si c’est un homme . Tony Harrisson et Cecilia Mazur en ont gommé les éléments qui le situaient complètement dans les camps d’extermination nazie. Ce faisant, ils lui ont donné une dimension universelle de dénonciation des horreurs que des hommes peuvent imposer à d’autres hommes dans le cadre d’une guerre. On entend la souffrance des victimes, leur lutte pour survivre, pour résister à la déshumanisation qu’on leur impose, pour garder une identité, pour conserver des souvenirs. Face à la brutalité bestiale qui les entoure, des gestes de fraternité émergent parfois, qui leur permettent de ne pas oublier qu’ils sont des hommes.
Tony Harrisson a mis en scène et interprète le texte de Primo Levi. Sa silhouette massive se dessine dans l’espace nu et sombre de la scène. Peu à peu apparaissent des espaces cernés de pieux de bois qui l’enferment comme les grilles d’une prison ou d’un camp. Au centre de la scène est placé un tabouret où se découpe un cercle lumineux, symbole d’un espoir de sortie de cet univers aux règles aussi obscures que cruelles. L’acteur, qui a joué dans des mises en scènes de Peter Brook ( Le costume ), d’Irina Brook et de Philippe Adrien, porte le texte. Courbé par la fatigue et le désespoir, il se redresse aux rares moments d’espoir, s’agite pour trouver une place sur sa couchette partagée avec un plus grand et plus massif que lui, raconte le travail, les coups, les appels, l’infirmerie. La musique joue un grand rôle dans le spectacle. Le son métallique et froid du hand pan, magnifiquement joué par Guitòti, crée l’univers sonore du camp, le train, le vent, la cloche du réveil, le bombardement. Elle accompagne les paroles de l’acteur et par sa rythmique, elle nous imprègne de l’atmosphère tragique du récit tout comme des percées d’espoir. On en sort bouleversé.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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