Beaucoup moins joué que Brecht, fort injustement selon Peter Handke, le romancier et dramaturge Ödön Von Horváth a pourtant été, dès 1928, un des premiers artistes à dénoncer les ravages de la montée du nazisme. Fils de diplomate, il a dès l’enfance voyagé d’un pays à l’autre, de Fiume, où il est né, à Belgrade, de Budapest à Munich puis Vienne, Prague et enfin Paris où la mort l’attendait, à 37 ans, signant la fin d’un destin tragique.

Matéo Troianovski, s’appuyant sur les œuvres et les archives de Horváth, a écrit un biopic percutant, plein de vie et de tendresse de cet écrivain plongé dans un monde qui devenait fou. Dans cette période, l’après-guerre de 1918, où monte un nationalisme débridé, Horváth, que sa jeunesse a habitué à voyager ne se sent aucune appartenance nationale. Toujours un carnet à la main, il note l’air de son temps, la brutalité, la bêtise, le mensonge pour nourrir ses pièces et ses romans car, dit-il, « l’aspect le plus noble de la tâche d’un homme de lettres est d’écrire pour que les gens se reconnaissent eux-mêmes ». Son théâtre populaire et critique ne pouvait que susciter la haine des Nazis. Ses livres seront brûlés, il sera obligé de s’exiler, errant de plus en plus démuni à travers l’Europe, séparé de la comédienne qu’il aimait, elle aussi contrainte à l’exil.

Elie Rofé signe une mise en scène dynamique qui, avec beaucoup de fluidité, nous emmène d’un lieu à l’autre pour retracer cette vie qui s’organise autour d’une machine à écrire, toujours bien présente. Les scènes s’enchaînent, les acteurs déplacent une table et l’on est dans la chambre d’Horváth, ou dans un café, ou dans un commissariat, ou dans un train. On retrouve la langue poétique de l’écrivain mais Matéo Troianovski fait aussi vibrer dans la pièce la chaleur de la rencontre amoureuse comme l’engagement de Horváth pour ses idées tant politiques que ses jugements sur le théâtre ou le cinéma. Le metteur en scène a su jouer des changements de ton de la pièce, émotion ou rire parfois noir. Ainsi l’actrice Juliette Derkx devient speakerine que l’on interrompt comme en fermant le bouton dans son dos, ou serveuse de café bougonne ou commissaire de police imposant des règles aussi dictatoriales qu’aberrantes.

Mateo Troianovski incarne avec beaucoup de sensibilité et de tendresse cet écrivain, à la vie engagée et bouleversée par la folie de son temps. Il en vit les émotions, les emportements ou l’acceptation jamais résignée des événements. Fanny Le Pironnec est son amante intense, libre, déterminée que le fascisme obligera aussi à l’exil, car il fallait abattre tous ceux qui pouvaient représenter une opposition, aussi faible soit-elle.

Un biopic intense qui donne envie de se replonger dans la lecture de cet écrivain dont une phrase écrite sur une plaque à sa mémoire devant le théâtre Marigny, là où il est mort, résonne encore : « Les gens vont dire que dans un lointain avenir le faux disparaîtra, alors qu’il est au pouvoir, que le vrai adviendra, alors qu’il est au mouroir ».

Micheline Rousselet

Jusqu’au 20 novembre à la Comédie Nation – 77 rue de Montreuil, 75011 Paris – Réservations : 01 48 05 52 44 ou www.comedienation.fr – Les vendredis à 19h et les samedis à 18h30

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