C’est en 1918 que l’amitié de Charles-Ferdinand Ramuz et Stravinsky va donner naissance à ce petit chef d’œuvre. S’inspirant d’un conte populaire russe, cette histoire est celle d’un jeune soldat partant en permission qui accepte de vendre son petit violon à un homme. En échange, celui-ci lui donne un livre, qui le rendra riche, puisqu’il pourra y lire l’avenir, mais il découvre vite qu’il a vendu son âme au diable.
Ramuz et Stravinsky ont détaché le conte de son contexte russe pour le rendre universel. On part de l’histoire du soldat mais on va vers des choses plus profondes, la vie, les choix que l’on doit faire, la mort. Le soldat est une image du peuple, la victime, le diable est l’ennemi et le livre qu’il donne au soldat peut être vu comme une image du matérialisme qui conduit au malheur, comme le constate le petit soldat lorsqu’il dit « j’ai tout et je n’ai rien ». Le lecteur, troisième personnage du conte, rappelle que l’on ne peut pas tout avoir, que « l’on ne peut pas être à la fois qui on est et qui on était ».
Stravinsky avait conçu une orchestration dépouillée pour en faire « une espèce de petit théâtre ambulant » : sept musiciens sur scène avec deux instruments de chaque famille, le plus aigu et le plus grave, plus les percussions. Le texte de Ramuz, avec ses répétitions, son mélange de rime et de prose rythmée épouse la complexité de la rythmique de Stravinsky.
Dans sa mise en scène Stéphane Druet a placé, comme le voulait Stravinsky, l’orchestre sur la scène. L’histoire se joue devant les musiciens, en pantalon rouge et vareuse bleue, alignés au fond de la scène face au chef d’orchestre en costume de capitaine. Les jeunes musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato mettent toute leur fougue et leur talent au service de la partition. Ils défilent à la queue leu-leu, se rangent, s’asseyent, se lèvent dans une sorte de chorégraphie bien organisée. Fabian Wolfrom a la jeunesse et la naïveté du soldat. Il pense avoir gagné le gros lot mais comprend vite qu’il est tombé dans la gueule du diable, il espère le berner mais retombe dans le piège qui se referme sur lui. Licino Da Silva, qui a travaillé entre autres au Théâtre du Soleil, prend beaucoup de plaisir à incarner un diable drôle, séducteur, manipulateur, fou de colère quand les faits lui résistent mais suffisamment rusé pour l’emporter à la fin. Le rôle muet de la princesse est tenu par une danseuse qui arrive par la salle comme une ombre et danse devant un soldat immédiatement conquis. Sous la direction de Stéphane Druet, Claude Aufaure qui a travaillé avec des metteurs en scène comme Vitez, Chéreau, Roger Blin et bien d’autres, devient l’auteur en même temps que le lecteur de cette Histoire du soldat . Avec ses cheveux blancs, assis à un pupitre d’écolier il observe le soldat aux prises avec le diable. Il entrera dans le jeu une fois pour sauver le soldat, mais ne peut plus rien pour lui la seconde fois. Surtout Claude Aufaure réussit à merveille à s’adapter à la musicalité si particulière de la partition de Stravinsky, scandant son propos comme un ancêtre de rappeur, « mettant la virgule en majesté », jouant des silences comme des ruptures, tout en conservant au texte de Ramuz sa poésie délicate.
C’est toute la complicité du musicien et du poète que l’on retrouve dans cette mise en scène et cette interprétation si fidèle à l’esprit de l’œuvre. La proximité avec les musiciens et les acteurs dans la petite salle du Poche Montparnasse permet d’en apprécier encore plus la fraîcheur et la puissance.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 50 60 67
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