Si c’est au public que s’adresse le titre, alors merci ! Mais c’est surtout à nous de remercier Cécile Tournesol et la troupe permanente du TE’S, Théâtre Eurydice Sauvegarde, une institution d’art dramatique complètement atypique puisqu’elle s’est donnée pour mission de faire rayonner les talents des personnes en situation de handicap psychique. D’ailleurs, il est évident que c’est avec un vrai bonheur de jouer que Philippe Billot, Fanny De Berail, Aurélien Frayssinhes, Pricillia Pain, Eve-Astrid Legros, Anna Peneveyre, Rovnic Pengame, Gabriel Xerri, Felipé Zarco servent les extraits des Diablogues de Roland Dubillard (1923-2011) dans une dramaturgie de Cécile Tournesol, une création sonore de Edouard Bineau, une création lumière de Patrice Le Cadre et d’extravagants costumes de Philippe Varache.

Qu’est-ce qui peut expliquer cette rencontre entre cette troupe et Dubillard ? Peut-être une accointance faite de décalage et de sens de la farce ? L’écrivain, que l’on pourrait situer entre Beckett et Ionesco, jongle avec le langage et le TE’S trouve dans ses textes le moyen de nous proposer un cirque de mots. Clowns chatouillant les discours sous les aisselles, trapézistes suspendus aux phrases de l’interlocuteur et s’élançant sans crainte du vide verbal, montreurs de bizarreries linguistiques que l’on fait tourner sur des tabourets d’éléphants. Les comédiens s’emparent de la fantaisie des Diablogues, diableries sympathiques sur la conversation et les aspects un peu fous ou flous du langage, nous offrant ainsi un spectacle poétique, original et frais.

Mais tout cela n’est pas que jeu et divertissement. Au cœur de l’amusement, il y a une réflexion sur les échanges en tête-à-tête et le rapport verbal à autrui. Pour Dubillard, nous ne pouvons pas nous passer de parler et encore moins d’entrer en dialogue avec nos semblables. Mais dès que l’échange dépasse les banalités ou politesses d’usage, une lutte acharnée pour affirmer sa singularité face à l’autre s’engage. L’intersubjectivité dialoguée relève de la partie de ping-pong voire de l’escrime. Ce qui fait la difficulté de l’enjeu et souvent la drôlerie de la situation, c’est que le moyen pour nous singulariser est le langage, donc un médium qui n’appartient à personne et en même temps à tous. Comment exister soi-même en usant d’un moyen impersonnel et commun ? Notre parole passe par la langue de l’autre qui, en face, veut la même chose que nous : avoir le dernier mot ! C’est par exemple très visible dans le diablogue de « la pluie qui tombe » ou l‘art de pousser autrui dans ses derniers retranchements. La solution à ce problème, c’est tout simplement qu’il n’y en pas et qu’il n’y a qu’à continuer… en changeant de sujet éventuellement. Une chose est sûre, bon ou mauvais, l’échange verbal nous est nécessaire, notre humanité s’y accomplit de toute façon « pour le meilleur et pour le pire » ou bien pour le railleur et pour le rire !

Dubillard travaille les failles et les décalages dans la communication linguistique et les comédiens de TE’S utilisent leurs propres failles pour donner plus de relief à celles repérées par l’écrivain. La rencontre des deux est surprenante, percutante et éblouissante. C’est heureux qu’ils soient à Avignon avec Dubillard !

Jean-Pierre Haddad

Avignon – Off, La Scierie – Le Studio, 15 Bd du Quai Saint Lazare. Du 7 au 15 juillet à 11h. Reprise à la rentrée 2023 au TE’S, 110 rue Claude Chappe, 78370 – Plaisir

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