Dans un couloir d’hôpital une femme se présente Léa Paule, 42 ans, neurologue. A travers un rideau elle aperçoit un patient. Il a été amené par la police qui l’a trouvé dans la rue, il a 29 ans, semble atteint d’Alzheimer et ne se souvient de rien. Il finit par dire qu’il s’appelle Hermann et prononce un nom Olia. Or à l’hôpital il y a un médecin qui s’appelle Daniel Streiberg et dont la femme russe se prénomme Olia. Léa va commencer une recherche qui la mènera très loin, de l’hôpital au domicile du docteur Streiber, de France en Russie en passant par la Pologne, du Sud au Nord de la France et d’une vie de célibataire un peu triste à celui d’une femme mariée mère de deux enfants.

C’est la sixième pièce qui lie le dramaturge Gilles Granouillet (aussi metteur en scène sur d’autres spectacles) et le metteur en scène François Rancillac. La pièce a des allures de conte, mais un conte cruel. Olia perd tout, son confort, son mari, sa raison, ses yeux mêmes, pour attendre dans une chambre d’hôpital un fiancé perdu longtemps auparavant. Sur lui l’âge a glissé, il a toujours 29 ans, sa mémoire l’a abandonné, mais lui aussi l’attend. Une histoire où l’amour ne s’éteint pas, où l’on se perd entre le réel et l’enchantement, où la science n’arrive plus à imposer sa raison, une pièce où le temps lui-même flotte jusqu’à nous ramener au point de départ.

La pièce se présente comme un road-movie dans l’espace mais aussi comme un voyage dans le temps, avec un grand flash-back. Léa Paule reconnaît la voix d’Hermann à travers un rideau et l’on part treize ans en arrière quand elle l’a rencontré pour la première fois avant de revenir au présent à la fin. Le temps est passé par là et la mémoire a fait son travail d’oubli, de filtre et de recomposition. Comme le dit Léa Paule « La mémoire n’est rien d’autre qu’une collection dont le cerveau a gardé la trace. C’est notre raisonnement qui s’évertue à les recoller pour leur donner un sens… C’est ça la mémoire : le puzzle recollé par les mains d’aujourd’hui. ». La scénographie de Raymond Sarti contribue au sentiment d’étrangeté un peu inquiétante que diffuse le texte, avec des grands couloirs vides et blancs, des rideaux translucides où se révèlent des silhouettes fantomatiques tandis que l’action se situe à l’avant-scène. La musique de Sébastien Quencez se glisse dans les silences, passe de la douceur à la violence d’un rock russe déchaîné.

Claudine Charreyre interprète avec finesse le rôle de Léa Paule, celle qui se proclame scientifique mais que son empathie pour son patient conduit à une grande humanité. Lenka Luptáková est Olia, qui abandonne son choix d’une vie aisée, loin de chez elle, pour se laisse glisser hors de la raison dans cet amour fou. Clément Proust est Hermann. Daniel Kenigsberg, dont la voix est familière aux habitués de l’émission de Xavier Mauduit sur France Culture, est saisissant en Daniel Streiberg se dépeignant sans complaisance et dévoilant sa solitude et son besoin d’être aimé.  

Cette belle mise en scène et ces très bons interprètes nous font entrer dans ce conte avec l’esprit émerveillé d’un enfant, mais avec ce qu’il faut de mystère, d’amour, de souffrance pour entraîner les adultes que nous sommes.

Micheline Rousselet

Création les 3, 4 et 5 mars au Théâtre des 2 Rives à Charenton – 25 et 26 mars à l’Espace Culturel Albert Camus du Chambon Feugerolles en co-accueil avec la Comédie de Saint-Etienne – 7 avril Maison des Arts du Léman, scène nationale de Thonon-Evian – 13 avril Espace Saint-Exupéry de Franconville – 15 avril Théâtre Victor Hugo de Bagneux, 6 mai L’Onde à Vélizy-Villacoublay

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