Sur le plateau, un décor de maison bourgeoise encombrée d’objets et de jouets d’enfant avec de grandes fenêtres, dont les rideaux flottant au gré du vent, masquent un lac entouré de bois. Julie, jeune architecte vit là avec son mari infirmier, sa mère qui perd un peu la tête, le gardien du domaine un poète qui parle aux vents, et un frère plein de fantaisie, toujours en train de rêver du film qu’il va faire. La maison a besoin de sérieux travaux que Julie tente tant bien que mal d’assurer, coincée entre hausse de loyer annoncée, banques qui refusent les crédits, clients qui ne paient pas. Son mari aimerait quitter cette maison véritable gouffre financier et avoir « une vie normale ». Pour Julie, il n’en est pas question. Cette maison correspond à la vie qu’elle a souhaitée et abrite son histoire.

Nasser Djemaï, le nouveau directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, a écrit et mis en scène cette pièce, sorte de « conte fantastique sur le déni de réalité ». La réalité, c’est l’état de cette maison à laquelle s’accrochent Julie, son frère et sa mère. Quand on lui parle des dépenses nécessaires et des travaux à réaliser Julie s’obstine à répondre « je gère » ou « je m’occupe de tout » et cache les factures impayées. A son mari qui voudrait vendre, elle répond qu’il avait dit de cette maison quand il l’avait découverte « c’est le paradis» et qu’ils avaient fait le choix d’y élever leurs enfants dans un environnement préservé, en accord avec la nature qui l’entoure. Exaspérant dans son refus presque enfantin de tenir compte de la réalité, le frère de Julie apporte dans la maison un souffle de poésie et un grain de folie auxquels sa sœur est incapable de résister.

On glisse sans cesse de situations qui paraissent bien réelles à un univers un peu fantastique. Du côté de la réalité, les problèmes d’argent, les banques où il est fort difficile d’avoir un véritable interlocuteur et non un automate, le souci pour Julie d’une mère qui oublie de prendre ses médicaments et ne veut rien toucher à la maison. Du côté fantastique, les sangliers de la forêt qui hantent les rêves, la légende de l’homme du lac et surtout ce frère attachant, fantaisiste qui veut faire de sa vie une œuvre d’art. Julie, son frère, leur mère, le gardien s’accrochent à cette maison. La perdre serait accepter la fin d’un monde. On pense à Tchekhov et à La cerisaie.

Sophie Rodrigues interprète une Julie, décidée, affirmant qu’elle va résoudre tous les problèmes, puis s’enfermant peu à peu dans les mensonges et perdant pied en se laissant enfermer dans les délires de son frère. David Migeot est Franck, le mari qui sait que le monde ancien a disparu, que la région se désertifie et qui tente d’imposer le triomphe du bon sens et de la raison sur le rêve. Coco Felgeirolles interprète cette mère qui perd un peu la tête, ne veut garder que les souvenirs des fêtes d’autrefois au bord du lac et attend que le gardien (Peter Bonke) l’emmène en barque sur l’autre rive, vers la mort. Enfin il y a le frère de Julie, hâbleur, menteur à l’occasion ou plutôt enjoliveur de la vérité. Comme le dit Nasser Djemaï « Il dépense toute son énergie à inventer sa vie, sans que cela se traduise concrètement ». Tel un enfant, il va au bout de ses rêves et mène sa vie comme un film en train de se faire. Et dans ce rôle Anthony Audoux est formidable.

Finalement, semble nous dire Nasser Djemaï, peut-on refuser le monde où nous vivons et à quel prix ?

Micheline Rousselet

Jusqu’au 14 octobre au Théâtre des Quartiers d’Ivry – Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine – Réservations : 01 43 90 11 11 – du mercredi au vendredi à 20h30, le samedi à 18h, le dimanche à 17h – En tournée ensuite : le 8 et le 9 novembre à la Comédie de Colmar – le 18 novembre au Théâtre des Salins à Martigues – du 14 au 17 décembre à la MC2 Grenoble – le 7 janvier au Théâtre Molière à Sète – du 12 au 14 janvier au Théâtre Olympia de Tours – les 21 et 22 janvier au Volcan au Havre- du 26 au 28 janvier à la Comédie de Béthune

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