Nous sommes dix ans après le début de la guerre de Troie entre les Grecs et les Troyens déclenchée par l’enlèvement d’Hélène par Pâris. Troie est détruite, Pâris mort, les Grecs se partagent les captives de haut rang troyennes. Ménélas, le roi de Sparte, qui n’a pas revu Hélène depuis le début de la guerre, l’a convoquée dans la chambre du palais troyen qu’elle partageait avec Pâris. Dans ce huis clos, Simon Abkarian imagine leur affrontement auquel les auteurs de l’Antiquité ne se sont pas intéressés. C’est pour lui l’occasion de nous dévoiler des héros différents de l’image qu’on en a.

Le décor dépouillé (trois micros, un piano, deux bancs et au fond, l’amure de Pâris), qui n’a plus rien à voir avec le décor luxueux et clinquant de la création de la pièce au théâtre de l’Athénée en 2023, et les lumières de Jean-Michel Bauer mettent en valeur les voix et les corps des comédiens (Aurore Frémont et Brontis Jodorowsky) et de la pianiste, Macha Gharibian. Côte à côte, se rapprochant, s’éloignant, s’évitant, dans un ballet au ralenti où chacun cherche sa place, Ménélas et Hélène s’affrontent sans relâche dans une lutte sans merci avec la volonté d’être écoutés, de s’expliquer, de se faire comprendre pour peut-être arriver à se rejoindre. La musique composée et jouée au piano par Macha Gharibian reflète les états d’âme des personnages, leur colère, leur souffrance, leurs désirs. Parfois la parole se tait, la musique et le chant s’élèvent seuls (Écoute la musique, c’est pour toi qu’elle joue, dit Hélène) comme des respirations dans cette joute verbale.

Tous les deux habillés tout en noir, Aurore Frémont et Brontis Jodorowski, nous bouleversent par par la violence toute en retenue, la force, la sensualité, le lyrisme et la beauté de leur affrontement. Ménélas n’est pas cet être faible, sans aucune dimension, ridicule que l’on trouve chez les auteurs de l’Antiquité mais aussi chez Offenbach et chez Giraudoux. Il supplie Hélène de lui dire pourquoi elle l’a quitté. Il n’a pas cessé de l’aimer d’un amour absolu et son cœur est mort depuis qu’elle est partie. Il a certes voulu se venger mais il n’est pas comme son frère Agamemnon un guerrier implacable et sanguinaire. Il ne voulait pas la guerre, il se révèle dans toute sa fragilité d’être profondément humain qui ne veut pas se comporter en vainqueur à qui tout serait permis. Il reconnaît les erreurs qu’il a commises et souhaite retrouver son amour. Hélène, quant à elle, n’est pas « la putain » responsable de la guerre, ni la nymphomane de la tradition littéraire. Elle est une femme libre qui ne veut pas être regardée comme un objet sexuel. Elle refuse de dire que Pâris l’a enlevée. Elle a choisi de partir avec lui pour fuir un époux qu’elle avait adoré mais qui la délaissait. Elle se révolte contre le patriarcat, contre son père qui l’a exposée devant tous les prétendants, contre Ménélas qui considérait qu’elle lui appartenait. Dans un récit très sensuel où elle raconte sa dernière nuit avec Pâris, elle revendique le plaisir qu’elle a pris avec lui. Simon Abkarian a fait d’Hélène comme d’Electre dans Electre des bas-fonds une femme moderne, une femme libre qui dit : Je veux recréer Hélène non pas dans le regard des hommes mais dans ce corps se chevauchant lui-même. Je veux être Hélène qui danse dans Hélène.

Un spectacle fascinant qui mêle poésie et musique dans la très belle salle en bois, véritable écrin.

Frédérique Moujart

Du mercredi au vendredi à 21h, le samedi à 20h et le dimanche à 16h30

Théâtre de l’Epée de Bois- Cartoucherie, route du Champ de manœuvre, Paris 12ème – Réservation : 01 48 08 39 74 ou billeterie@epeedebois.com

Photo : « Hélène après la chute » de Simon Abkarian aux arènes de Cimiez, juin 2024, dans le cadre du Festival de Tragédies du Théâtre National de Nice © DR – TNC


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