Tiago Rodrigues, actuel directeur du Festival d’Avignon, aime prendre des textes anciens pour les mettre en résonance avec des questions actuelles ainsi qu’il l’avait fait avec Antoine et Cléopâtre. En le faisant avec humour, il rend la tragédie plus limpide et plus proche des préoccupations des spectateurs.

Dans la tragédie d’Euripide on entend Hécube, la vieille reine de Troie, venir réclamer justice à Agamemnon après la défaite qui a éliminé son royaume. Cela elle l’accepte, comme la mort de tous ses enfants, mais elle ne peut accepter que le Roi de Thrace, Polymestor, à qui elle avait confié le plus jeune de ses fils pour qu’il le protège, l’ait trahie en le tuant par cupidité. Devant Agamemnon elle argue de ce que, même en temps de guerre, la dignité humaine des vaincus doit être respectée, surtout celle des plus faibles.

Quand la pièce commence les comédiens répètent la tragédie d’Euripide en cherchant de quoi nourrir leur travail. Or Nadia, la comédienne qui joue le rôle d’Hécube, veut accélérer la répétition car elle aussi, emplie de colère comme l’héroïne grecque, mène un combat pour la justice et elle ne lâche rien. Son fils autiste, Otis, prénommé ainsi en référence au chanteur de soul Otis Redding, a été maltraité dans l’institution à laquelle elle l’avait confié et elle veut que la responsabilité de l’État soit reconnue.

Tiago Rodrigues s’est inspiré de faits réels survenus en Suisse il y a quelques années. Les scènes d’interrogatoire devant le Procureur, dans l’instruction du procès intenté par Nadia, succèdent aux scènes de répétition. Même si le glissement de la tragédie grecque au drame d’aujourd’hui est moins fluide que ce à quoi l’auteur nous avait habitué, on lui est reconnaissant de soulever une question de notre temps, celle de la faillite des services publics, surtout ceux de l’aide à l’enfance. Et la mise en scène de Tiago Rodrigues et surtout sa direction d’acteurs emportent l’adhésion. Des chansons d’Otis Redding reviennent en leitmotiv. Sous un voile noir une présence énigmatique domine la scène. Dévoilée elle révèle une grande statue de chienne, une chienne enragée aux yeux rouges, celle en qui Héra avait transformé Hécube, qui ne se résignait pas à l’intransigeance d’Agamemnon. Tout comme elle, Nadia refuse l’indifférence des services publics face à sa plainte et est prête à aboyer le reste de sa vie, « même si cela n’aboutit à rien car il n’existe pas d’autre alternative ».

Vêtus de costumes noirs mi-antiques, mi-modernes, les comédiens et comédiennes à l’exception d’Elsa Lepoivre interprètent au moins deux rôles, un dans la répétition de la pièce d’Euripide, un dans l’instruction du procès. Les anciens apportent leur finesse de jeu. En Polymestor comme dans le rôle du Secrétaire d’État, Loïc Corbery semble surtout occupé à fuir sa responsabilité, se préoccupant avant tout de savoir s’il doit se placer à cour ou à jardin ou testant le niveau sonore de sa voix. Denis Podalydès qui incarne Agamemnon et le Procureur, fait des jeux de mots, propose sans cesse du café et répète « Euripide méritait mieux », apportant des moments d’humour. Les jeunes usent de leur fougue, telle Séphora Pondi, à la fois membre du chœur chez Euripide, éducatrice se défendant maladroitement des mauvais traitements infligés et avocate défendant la cause de Nadia, ou Élissa Alloula, ancienne remplaçante de la Maison d’accueil dénonçant les maltraitances qu’elle a vues. Et puis il y a Elsa Lepoivre qui glisse de la grandeur de la tragédie au drame d’aujourd’hui, impériale ou brisée, humaine si humaine. Elle est fascinante dans son obstination à obtenir, non pas vengeance, mais réparation. Elle est magnifique.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 21 juillet à la Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette 75001 Paris – 20h30 ou 14h horaires et jours à vérifier sur le site – Réservations : comedie-francaise.fr

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