Deux fois par an le Théâtre du Point du Jour à Lyon invite journalistes et artistes à créer ensemble un spectacle autour d’un thème d’actualité. Le principe est simple. Le théâtre donne carte blanche à un.e artiste avec un budget prédéterminé et le soutien de l’équipe technique. À lui ou elle de choisir le thème, le ou la journaliste et la performance qu’il veut réaliser, avec pour seule contrainte une semaine de répétition uniquement. Certaines de ces performances tournent encore, comme celle sur le thème Faut-il séparer l’homme de l’artiste.

Pour ce septième opus, l’autrice, metteuse en scène et comédienne Carole Thibaut, par ailleurs directrice du CDN de Montluçon, a choisi La fabrique de la domination. Pour évoquer ce sujet elle a pensé à la journaliste du Monde Lorraine de Foucher, qui a signé nombre de papiers très remarqués sur les féminicides, le viol, l’enfer du porno, ou la pédocriminalité. Il a d’abord fallu que Carole Thibaut vainquent les réticences de la journaliste qui lui opposait « Je ne suis pas une actrice » et « j’ai déjà trop de travail ». Mais de leur rencontre est née une connivence, une sensibilité à l’oppression subie par les femmes et une réflexion commune sur le patriarcat qui définit les normes et les cadres qui contraignent sans cesse les femmes. Comme le dit Lorraine de Foucher « à force d’échanger, nous nous sommes approchées du bord de notre falaise relationnelle … On pouvait se faire confiance et décider de sauter dans le vide ».

C’est leur parole qui va être en majesté, aidée parfois par des vidéos : leur parcours de vie, qui défile un peu trop vite, PPDA dans son bureau, des enfants dans des taudis aux Philippines. Lorraine de Foucher démarre dans un sommet d’émotion laissant la salle accrochée au bord de ses mots. Elle parle des féminicides, de sa rencontre avec la mère d’une femme assassinée par son ex-compagnon ou d’une autre qui n’a dû son salut qu’au fait qu’un jeune médecin ait eu le réflexe de plonger ses mains dans la plaie, provoquée par le couteau de son agresseur, pour arrêter l’hémorragie et la sauver. Sa rencontre avec Carole Thibaut dans un bistrot autour d’un verre de vin va les conduire à élargir le sujet sur les structures de la domination, sur le patriarcat. Lorraine va parler de la tyrannie de la beauté pour celles qui interviennent à la télévision, des remarques sexistes des collègues ou des chefs et de Patrick Poivre d’Arvor. Lorraine a interviewé Hélène Devynck auteur de Impunité qui avait révélé la souffrance de plusieurs femmes victimes, comme elle, du présentateur vedette. Tout le monde savait à TF1, mais personne n’osait parler par peur de perdre son emploi. Pourtant rappelle Carole Thibaut, parler cela redonne à la femme que le violeur a cherché à réduire à l’état d’objet, sa place de sujet. La journaliste raconte le soutien du Monde qui révèle l’affaire, sa recherche de témoignages, car il en faut plusieurs pour éviter l’accusation de diffamation. Toutes deux montrent le courage qu’il faut pour résister face aux menaces ou aux blagues lourdes des mecs dès qu’il s’agit de ces sujets.

Il y a des moments d’humour. Ainsi de la colère des deux femmes demandant aux hommes d’arrêter de rire bêtement des « blagues de merde » sur les femmes, tout en vidant une bouteille de gnôle pour faire passer ce qui va suivre, l’enquête parue dans Le Monde sur le porno français où les tournages relèvent d’abus de pouvoir et de viols aggravés. Un humour très noir, quand Carole Thibaut évoque les côtés sympa du travail de journaliste avec les voyages, et que Lorraine répond par son enquête aux Philippines, où des parents réduits à la misère vendent des vidéos pornos de leurs enfants à des mâles occidentaux en mal de chair fraîche. Pour finir les deux femmes, toutes deux mères de deux filles, les convient à parler à leur tour. On les voit à l’écran, on les entend. Même si elles font remarquer avec humour que leurs mères les plombent parfois un peu avec leur féminisme militant, elles sont féministes et le prouvent.

Si Lorraine de Foucher n’est pas comédienne elle pourrait l’être, car aux côtés de Carole Thibaut elle tient très bien sa place et elles échangent même une ou deux fois leur rôle. Un débat animé a suivi la représentation-performance. Une soirée passionnante à conseiller à tous.

Micheline Rousselet

Spectacle vu le 3 mai au Théâtre du Point du jour à Lyon – Les 10 et 11 mai au Théâtre des Îlets CDN de Montluçon

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