
Fatima Soualhia Manet met en scène le texte de son amie Fanny Mentré qu’elle lui a demandé d’écrire. C’est l’histoire de leur amitié, de leur sororité qui a perduré pendant 35 ans sans qu’elles n’aient jamais abordé la question de leur origine. Elles partageaient le quotidien au présent sans s’interroger sur le passé de leur famille.
Fanny est née de parents français et son père a été mobilisé dans le cadre de la « pacification en Algérie ». Fatima est fille de parents algériens. Sa mère enceinte d’un membre du FLN dont elle était amoureuse a été rejetée par sa famille sauf sa grand-mère et mariée à un autre Algérien installé à Nancy de 30 ans plus âgé qu’elle. C’est dans un cours de théâtre qu’elles se sont rencontrées et trouvées. Sans se questionner sur leur origine, elles ont partagé pendant toutes ces années leur farouche envie de liberté. Après 35 ans d’amitié, elles ont décidé de s’approprier le passé comme pour mieux s’en libérer et ne pas reproduire la violence de la vengeance de leurs aînés.
C’est ce parcours que Fatima met en scène en nous incluant, nous spectateurs, captés par la narration de ces deux femmes en une. On parlera bien sûr de la guerre d’Algérie que l’Etat français aura mis 30 ans à reconnaître et des questions sans réponse aux pères silencieux et autoritaires. Elles ont été biberonnées entre autres aux émissions de variétés de la télévision des années 60 et 70, une Sheila qui danse et un Claude François qui pleure. Cette lucarne magique qu’il fallait regarder en silence sera leur porte d’entrée dans leur envie de liberté et leur volonté de ne pas reproduire les schémas de vie tout tracés par la société patriarcale de leurs aînés qui ont imposé aux femmes un vie sacrificielle.
Déjà pointent dans leur fougueuse amitié les prémices d’un féminisme partagé. Femmes de ménages libres, elles s’imaginent en « déesses salvatrices » plutôt Médée qu’Iphigénie ». Dans leurs racines maintenant interrogées et malgré le silence imposé où sourdent la violence et les vengeances, elles puiseront dans les trous, les omissions et leur indéfectible amitié la force et la sève qui leur permettront d’atteindre la lumière et de vouloir avant tout et contrairement aux hommes la liberté, seule preuve d’amour et de partage.
La mise en scène épurée, l’utilisation discrète et évocatrice des images projetées et l’interprétation tout en nuance et adresse directe au public de Fatima Soualhia Manet nous enveloppent dans ce récit croisé de deux frangines féministes assoiffées de vie libre qui veulent aller vers la beauté.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 30 novembre, du mercredi au samedi à 19h15 et le dimanche à 15h – Théâtre de Belleville, 16, Passage Piver, Paris 11ème – Réservation : 01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com
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