Tiphaine Raffier, que l’on a connue comédienne avec Julien Gosselin, s’attelle désormais à l’écriture et à la mise en scène et elle ne fait pas dans la demi-mesure. Avec France-fantôme, elle livre une dystopie qui est aussi une histoire d’amour et de deuil, elle crée un monde de science-fiction qui nous interpelle sur le nôtre, mais qui va aussi à rebours de nos peurs. Là où nous craignons d’être envahis par les images, elle imagine un monde où l’image humaine est interdite.
À l’ère de la « neuvième révolution scopique » la résurrection est devenue un marché sur lequel règne une entreprise la Recall them Corporation. Véronique est inconsolable après la mort de son mari et veut le retrouver. La Recall them peut l’y aider en téléchargeant dans le corps d’un donneur l’esprit et les souvenirs de son mari. Son esprit survivra éternellement, à condition de décharger chaque jour ses souvenirs grâce à un démémoriel qui les stocke et peut les réimplanter. Mais pour que le système fonctionne il faut qu’elle oublie le visage de son mari. Le défunt devient alors un « rappelé » sans visage. Pour que l’on puisse implanter les souvenirs dans un autre corps, il faut que le visage du défunt disparaisse. Il est donc interdit de photographier, de filmer, de dessiner même ceux que l’on veut retrouver. Quant aux souvenirs ils sont devenus si précieux qu’il faut les enregistrer et les vendre à la compagnie et les souvenirs de ceux qui ont eu une vie plus riche valent plus que les autres ! On touche alors des questions sociales et politiques. Si on décharge ses souvenirs on est rémunéré, mais plus encore, on est un bon patriote. Qui contrôle ces souvenirs désormais marchandisés ? Grâce à la technologie la mort pourrait devenir une maladie dont on peut guérir, mais un homme qui perd son image est-il encore un homme ? Peut-on continuer à aimer un homme qui n’a plus le visage ni le corps de l’être qu’on aimait, même s’il en a tous les souvenirs ?
Il y a dans la pièce une richesse de thèmes qui donne le vertige. Dans le monde que décrit Tiphaine Ravier la dictature de l’image a été supplantée par son effacement obligatoire et le résultat est encore plus inquiétant.
La mise en scène de Tiphaine Raffier est extrêmement précise. Elle donne à la vidéo sa place mais pas plus, à la différence de trop de spectacles qui envahissent les scènes actuelles. Le jeu des comédiens est très sûr et les musiciens qui jouent sur la scène accompagnent les voix ou les relaient.
Il faudra suivre le travail de cette jeune metteure en scène. Développer une dystopie qui parle de transhumanisme, de rapport à l’image, d’extensions nouvelles du marché et de ses dégâts sur la démocratie tout en s’intéressant à une histoire d’amour et au sort de la littérature, cela ne peut qu’exciter l’imagination. Cela fait longtemps que l’on n’avait vu un travail aussi original et stimulant.
Micheline Rousselet
Du lundi au samedi à 20h, relâche le dimanche
Théâtre Gérard Philipe
59 Bld Jules Guesde, 93200 Saint Denis
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 13 70 00
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