Bien peu de gens en France connaissent Ayn Rand. Sorte de star des campus américains dans les années 1960-1970, elle a inspiré entre autres Ronald Reagan, Alan Greenspan, ancien président de la Réserve Fédérale américaine ou le Tea Party. Née en Russie en 1905, elle fuit le bolchevisme, découvre émerveillée Hollywood puis New-York et s’installe aux États-Unis. Délaissant l’Europe décadente, avec ses velléités collectivistes et sa morale sacrificielle, quelques textes philosophiques et deux romans plus tard, elle devient une icône du capitalisme le plus libéral. Anticommuniste radicale, elle se livre à une critique violente de l’altruisme et défend un « égoïsme rationnel ». Elle fustige les méfaits de l’étatisme. Pour elle l’État doit se limiter à protéger l’individu, son droit à la vie, à la liberté et à la poursuite de son bonheur. N’étant pas à une contradiction près, elle fit appel à l’aide sociale pour financer ses soins médicaux quand elle fut atteinte d’un cancer du poumon, et si elle se disait adepte de l’égalité des sexes, elle n’hésitait pas à affirmer que « l’essence de la féminité était la vénération et le désir d’admiration des hommes ».

Sylvain Cartigny a adapté l’essai de Stéphane Legrand sur cette femme, que les milieux académiques ont dédaigné, mais dont les romans ont atteint des tirages faramineux – La grève est même cité par les Américains comme le livre qui les a le plus influencés après la Bible. Avec Mathieu Bauer à la mise en scène ils en ont fait un spectacle hybride où la musique de Sylvain Cartigny accompagne le texte dit et chanté par Emma Liégeois. La jeune comédienne à la beauté éclatante et à la voix superbe est comme enfermée dans une cabine vitrée qui s’emplit de fumée, celle des cigarettes qu’elle ne cesse de fumer mais peut-être aussi du brouillard de sa logorrhée. Elle incarne une Ayn Rand s’examinant sous toutes les coutures avec une complaisance certaine, s’émerveillant même d’avoir pu créer un tel engouement avec des idées aussi « évidentes », la peur de l’autre, la domination érigée comme mantra, avec un soutien inconditionnel aux premiers de cordée et son corollaire, le mépris pour ceux qui n’ont pas su réussir. Assis autour d’elle l’Orchestre de Spectacle de Montreuil l’accompagne, l’un des musiciens la rejoignant à la fin dans sa cabine vitrée, tel John Galt, l’archétype du « héros vertueux et entreprenant de La grève que la femme doit vénérer » !

Un spectacle détonnant pour découvrir une personnalité que l’Europe ignore largement alors qu’elle semble avoir une influence majeure sur les courants libertariens, dont les messages nauséabonds se répandent de plus en plus, si l’on en croit l’élection de Miléi en Argentine ou la possible réélection de Trump.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 25 novembre à La Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris – du jeudi, au samedi à 19h30 – Réservations : 01 47 00 25 20 ou reservation@maisondesmetellos.paris

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu