Cécile Givernet et Vincent Munsch, venus du théâtre gestuel, ont fondé leur compagnie Espace blanc en 2016. Ils montent des spectacles qui recourent à la marionnette, aux ombres et au théâtre de papier. Avec Farben (couleurs en allemand), ils mettent en scène une pièce de théâtre écrite par le Suisse Mathieu Bertholet en 2008. Mais « Farben » c’est aussi le nom de l’usine qui fabrique des gaz de combat pendant la Première Guerre mondiale et qui fabriquera le Zyclon B utilisé dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale.

La pièce s’ouvre et se termine en 1915 sur le suicide de Clara Immerwahr, première femme docteur en chimie de l’Université de Breslau au début du XXème. Elle rêvait d’utiliser la science pour faire le bien de l’humanité. Mais une fois mariée à Fritz Haber, Allemand d’origine juive, prix Nobel de chimie en 1918, elle a vu ses rêves s’envoler. Son mari, prêt à tout pour être reconnu comme un vrai Allemand, a mis ses recherches au service du pouvoir et a fabriqué le gaz moutarde qui a causé 18000 morts lors de la bataille d’Ypres en 1915. Alors qu’il avait promis à sa femme de travailler avec elle à égalité, il l’a cantonnée dans les tâches ménagères. Désespérée par les actions de son mari et par sa condition, elle se suicide au lendemain du drame d’Ypres.

On va alors suivre la vie de Clara dans la remontée de ses souvenirs sous forme de saynètes très courtes qui s’accélèrent encore au fur et à mesure du spectacle à l’image de son destin tragique qui se précipite. Clara et son mari sont représentés par deux très belles marionnettes réalistes que Cécile Givernet et Brice Coupey manipulent avec une grand précision mais à d’autres moments, ils sont Clara et Fritz sans qu’on voie bien pourquoi ces alternances. De grosses têtes de marionnettes manipulées par des comédiens représentent l’entourage du couple qu’elles étouffent par leurs pensées conservatrices. Un officier, marionnette géante endossée par une interprète, domine tous les autres et évoque la puissance allemande à laquelle Fritz Haber se soumet pleinement. Les scènes réalistes alternent avec des moments fantasmatiques où apparaît un superbe masque à gaz d’un survivant.

Les marionnettes d’Amélie Madeline sont esthétiquement remarquables et manipulées avec une grande dextérité par Brice Coupey, Cécile Givernet, Honorine Lefetz et Blue Montagne. On peut cependant regretter que la mise en place des différents tableaux, aux décors par ailleurs particulièrement réussis, ralentisse parfois inutilement le rythme. Le va-et-vient entre la manipulation des marionnettes et le jeu direct des acteurs au ton distancié atténue aussi la force des thèmes qui restent malheureusement d’actualité : la question de l’éthique scientifique et la place des femmes dans la famille et dans la société. Il est dommage que la présence physique des acteurs prenne trop souvent le pas sur celle des marionnettes.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 27 janvier du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h et dimanche à 17h – CNMa, Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard, Paris 5ème – Réservations : 01 84 79 44 44 ou lemouffetard.com

Farben se joue au au théâtre Jean Arp le 11 mars à 20h30 dans le cadre du festival MARTO

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