On connaît le thème psychanalytique du meurtre symbolique du père, il faut tuer le père pour voler de ses propres ailes. Faut-il tuer la mère ? Une mère qui a volé la place du père ou qui aime en détestant et déteste en aimant… Qu’on le veuille ou non, on ne tue jamais la mère, ni une telle mère ni aucune autre. On ne tue pas ce qui nous donné la vie. Tout au plus, on fait face à la mère. Plutôt quand elle est absente, car devant elle on retombe facilement dans la demande. Absente à jamais, ici.

Face à la mère est un face-à-face endeuillé à la surface de la mort – la mort effaçant l’intériorité du défunt. Face à la mère, dans le sac et le ressac du trop et du pas assez, dans la tempête des émotions, dans la tyrannie ou le désert des souvenirs, dans une parole au-delà des mots, dans une adresse à Hadès, dans une interpellation sans réponse. Le magnifique texte de Jean-René Lemoine qui a lui-même perdu sa mère de mort violence en Haïti, est comme un monument funéraire sauf qu’il n’est pas de pierres mais de mots, cris et chants. Sur la stèle invisible sont gravées des pensées entre reproches et regrets, un possible pardon et l’espoir que quelque chose s’efface : « Mère, je vous pardonne »… « Jusqu’à ce que vous disparaissiez !».

Le texte est beau, sa mise en scène tout autant. Alexandra Tobelaim a judicieusement diffracté la parole et la souffrance sourde du fils en trois acteurs : Stéphane Brouleaux, Geoffrey Mandon et Olivier Veillon. Ils sont différents de corps et solidaires en âme. L’intensité du spectacle provient peut-être – Qu’en savons-nous puisque nous sommes embarqués plus que regardeurs ? – du fait qu’il incarne une poésie de l’impossible dans des formes à la fois sensibles et abstraites charriant d’infimes perceptions et d’intimes sensations.

Les paroles sont accompagnées d’une musique jouée en plateau : Yoann Buffeteau à la batterie, Vincent Ferrand à la contrebasse et Lionel Laquerrière à la guitare électrique. Les trois musiciens et choristes interprètent une partition d’Olivier Mellano, mélodie rock aux tonalités lointaines ou éruptives, poème de sons planants ou criants. La scénographie d’Olivier Thomas et les lumières d’Alexandre Martre nous offrent un décor de lumières et de plage abandonnée sur ciel blanc et rideaux tombants. Tout est précis et subtil, de la simplicité des costumes de Joëlle Grossi jusqu’au travail vocal de Jeanne-Sarah Deledicq. Les acteurs bougent et occupent l’espace à la manière d’un ballet marché. Une petite avancée, passerelle entre scène et salle, permet aux comédiens d’entrer dans le public pour y porter l’émotion incandescente de cette cantate de l’anamour maternel.

Ne manquez pas ce chant du manque.

Jean-Pierre Haddad

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris. Du 5 au 15 mai 2022 salle Copi, du mardi au samedi 20 h 30 dimanche 16 h 30. Infos et réservations 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr

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