Elisabeth Bouchaud est une femme étonnante. Physicienne de formation, diplômée de l’École Centrale de Paris, elle a publié de nombreux articles scientifiques dans des revues spécialisées, encadré des thèses, enseigné et reçu de nombreux prix. Elle est aussi actrice, autrice de pièces de théâtre et depuis 2014 directrice du Théâtre de la Reine Blanche dont elle a fait la « scène des arts et des sciences ». Elle s’est lancée dans l’écriture d’une série Flammes de science mettant en scène des femmes scientifiques d’exception injustement tombées dans l’oubli. Les deux premiers textes mettent en lumière Lise Meitner dans Exil intérieur et Jocelyn Bell dans Prix No’Bell.

Lise Meitner (Elisabeth Bouchaud) qu’Einstein surnommait la Marie Curie allemande est une physicienne autrichienne née dans une famille juive à la fin du XIXème. A Berlin, elle travaille à l’institut Kaiser-Wilhelm avec un chimiste brillant, Otto Hahn. Le biopic commence en 1918 quand ils viennent de découvrir un nouvel élément radioactif, le protactinium. Elle est promise à un bel avenir mais l’arrivée d’Hitler au pouvoir et la persécution des Juifs va obliger celle qui se croyait protégée par sa nationalité autrichienne et par sa conversion au protestantisme à fuir pour la Suède laissant tout derrière elle. Avec son neveu Otto Frisch, elle découvre la fission nucléaire. Mais contrairement à lui, elle refuse catégoriquement de travailler avec les Américains à la création de la bombe atomique, et apprendra, désespérée qu’elle, la pacifiste, est appelée la mère juive de la bombe atomique. Autre déconvenue : c’est son ami Otto Hahn et non elle et son neveu, qui ne seront même pas cités, qui recevra en 1944 le prix Nobel de chimie pour la découverte de la fission nucléaire.

Avec à la mise en scène Marie Steen, Elisabeth Bouchaud a écrit et joue un très beau spectacle instructif mais aussi enlevé, rythmé, touchant et qui pose des questions essentielles. Pas d’inquiétude à avoir, rien de rébarbatif, elle arrive à vulgariser très simplement les découvertes scientifiques.

La scénographie de Lucas Antonucci est très ingénieuse avec un décor composé d’un grand panneau mobile manipulé à vue par les comédien.ne.s qui se fait paillasse de laboratoire, bureau, table de repas, frontière entre deux pays, écran de projection de videos historiques montrant l’exode, wagon de chemin de fer… Ce procédé astucieux nous transporte en un instant dans les différents lieux de son exil et permet aux comédien.ne.s de donner toute leur dimension à leur personnage. Benoit Di Marco dès son entrée en scène fait surgir l’ambiguïté d’Otto Hahn : son amitié profonde, son admiration pour Lise Meitner mais aussi son ambition personnelle et sa crainte qu’elle ne lui fasse de l’ombre. Imer Kutllovci campe un neveu attentionné qui a compris bien avant elle les dangers de la montée du nazisme et qui la soutiendra jusqu’à sa mort. Quant à Elisabeth Bouchaud, elle porte avec conviction et une grande sensibilité une Lise Meitner déterminée à se consacrer, avec son équipe, totalement à ses travaux de chercheuse dans un souci de construction et non de destruction. Pour elle, une femme ne peut pas plus qu’un homme perdre son temps et son énergie à ce qui n’est pas l’essentiel.

Ce spectacle aborde l’oubli systémique des femmes scientifiques au profit de leurs collègues masculins mais aussi la question de l’éthique dans les découvertes scientifiques, et celle du pardon : peut-on tout pardonner ?

Un spectacle absolument remarquable à aller voir ainsi que les autres de la série.

Frédérique Moujart

Du 7 au 25 juillet à 11h, relâches les 12 et 19 juillet – Festival off d’Avignon, Théâtre de la Reine Blanche – Réservations : 04 90 85 38 17- Prix No’Bell à 13h dans le même théâtre

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