Sur ce thème Carole Thibaut, directrice du Théâtre des Îlets, Centre Dramatique National de Montluçon signe un spectacle jubilatoire. Dès le début, c’est elle qui prend en main les consignes habituelles aux spectateurs sur l’usage des téléphones portables, y ajoutant quelques apports personnels et fort drôles sur la façon de se comporter à l’égard de sa voisine dans la salle et sur la question du consentement. Puis elle chante Femme, femme bientôt relayée par celle qui l’interpréta, Nicole Croisille. Elle se voit reine de légende juchée sur un lion, interpellée par une petite fille, qui vient se plaindre des garçons qui soulèvent les jupes des filles et baissent leur culotte, mais retournent ensuite dans la mêlée du bac à sable. Puissance, soumission, acceptation, toutes les contradictions de la place des femmes dans la société sont déjà là.

La comédienne mêle l’intime et la sociologie pour parler des questions de genre et de pouvoir. Elle parle de sa famille, de son père, type même du patriarche machiste, de sa mère qui a abandonné son travail d’enseignante car « une femme doit rester à la maison pour s’occuper des enfants », une famille où on ne se parle guère sinon pour s’enquérir des résultats scolaires. Elle dit « Mon père a été mon pire ennemi, mon grand initiateur au royaume de la domination ». Elle va ensuite égrainer toutes sortes de situation où les femmes se trouvent mises en difficulté parce que femmes : les injonctions sur le physique, le vieillissement que l’on pointe plus pour les femmes que pour les hommes, le jeu pervers sur la séduction, les agressions diverses – des attouchements dans le métro au chantage à l’emploi à l’égard des apprenties comédiennes – la difficulté à faire reconnaître sa place et sa compétence, quand on est une femme, qui plus est comédienne et directrice d’une institution, comme elle.

Dans ce spectacle Carole Thibaut n’hésite pas à se mettre en danger glissant de son histoire personnelle à l’universel, parlant de choses dérangeantes, les règles, la ménopause par exemple. Elle s’affuble de prothèses féminines seins et fesses gonflées, perruque blonde, taille serrée dans un corset qu’elle fait lacer par un spectateur. Les avatars de son parcours de femme sont comme les seaux d’eau qu’elle se verse sur la tête, prête à se noyer dans la baignoire installée sur scène. Cette baignoire deviendra le lit où elle attirera un spectateur, faisant semblant de le caresser. En inversant les rôles de genre traditionnels elle crée un sentiment de gêne palpable dans la salle, mais, rassurez-vous, elle n’est pas en train d’aller à l’encontre de son propos liminaire sur le consentement, ce spectateur est en fait un acteur ! Elle se drape dans les rideaux de velours, rouges comme les rideaux de scène mais rouges aussi comme signe du pouvoir qu’elle est censée avoir comme directrice de théâtre. Elle croque une Marilyn chantant I want to be loved by you, just you, touchante par sa fragilité face au rôle que les hommes de pouvoir lui ont assignée. Elle bredouille le gargouillis de mots inaudibles dits, d’une voix haut perchée, par une jeune comédienne face à un metteur en scène qui lui explique doctement que l’importance d’un rôle ne tient pas à la longueur du texte que l’on a à dire puisque les femmes occupent « tout l’espace symbolique » !

Pour parler de toutes ces questions, la comédienne fait feu de tout bois. Elle chante, se trémousse comme la femme rêvée par certains. Cela paraît parfois un peu foutraque mais il y a une folle générosité dans son texte et dans son jeu. On y sent sa colère, son ironie face aux injonctions contradictoires faites aux femmes et, même si elle trébuche parfois sur la ligne de crête où elle s’est installée, on ne peut que la suivre quand elle conclut qu’il faut cesser de faire allégeance à cette machine de mort qu’est la domination. Il faut en sortir, ex machina.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 18 novembre au Théâtre des Ilets, CDN de Montluçon – du 27 novembre au 2 décembre aux Plateaux Sauvages à Paris, du 30 janvier au 3 février 2024 au TNP de Villeurbanne. On peut revoir aussi de précédents spectacles de Carole Thibaut : Longwy-Texas du 4 au 6 mars au Théâtre de la Bastille, La petite fille qui disait non les 25 et 26 janvier à Marseille, etc


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