Hasards du calendrier le Norvégien Jon Fosse, Prix Nobel de littérature en 2023, est à l’affiche au Studio de la Comédie Française et au T2G (voir critique sur le blog). Gabriel Dufay, qui traduit depuis des années Jon Fosse et a publié un livre d’entretiens avec lui, a imaginé ce spectacle qui se compose d’un texte (Quand un ange passe par la scène ), sept poèmes et quatre courtes pièces énigmatiques. On entre dans des moments charnières de la vie d’hommes et de femmes empêtrés dans leur difficulté à dire. On ne connaît rien de l’avant et de l’après de leur vie ni même s’il s’agit d’un souvenir ou d’un rêve.

On retrouve des thèmes chers à l’auteur : l’inquiétude morale face à la vie, le désir d’être libre empêché par le fait que nous sommes liés les uns aux autres, la peur de la solitude, le temps, le rapport à l’invisible, à la disparition, au caché (la dernière courte pièce s’intitule d’ailleurs Vivre dans le secret). Chacune des courtes pièces s’offre comme un puzzle avec des indices, des ellipses, des hors-champs qui laissent une grande place à l’imagination du spectateur. Et les poèmes constituent des traits d’union entre elles. Dans tous les textes il y a surtout une écriture très poétique où le rythme et la musique s’imposent comme hypnotiques.

Jon Fosse a dit « C’est la tâche de l’écrivain de dire ce que les mots ne peuvent pas dire … Et c’est la tâche du metteur en scène et de l’acteur de faire entendre ce qu’il y a en-dessous des mots … de faire voir l’invisible ». Et la réussite est ici complète.

Ce qui apparaît d’abord, c’est la lumière d’une bougie, celle qui signera aussi la fin de la dernière courte pièce emportant les personnages dans l’ombre. Plutôt que des lieux de vie, Gabriel Dufay et la scénographe Margaux Nessi ont choisi de figurer des passages, des seuils entre extérieur et intérieur, un espace de lignes dans un univers gris comme chez le peintre belge Léon Spilliaert. Les personnages apparaissent sur une rampe, solitaires même si les autres ne sont pas loin comme dans l’univers d’Edward Hopper.

Ce sont les mêmes acteurs (Didier Sandre et Clément Bresson) et actrices (Anna Cervinka et Morgane Real) qui passent d’une courte pièce à l’autre invitant le spectateur à assembler selon son propre imaginaire le puzzle proposé. Avec beaucoup de retenue dans les gestes, des silence à la densité surprenante, une diction travaillée à la perfection laissant toute la place aux hésitations et au ressassement, ils incarnent ces êtres empêtrés dans leurs incapacité à échanger. Ils nous happent et ne nous lâchent pas une seconde.

Une œuvre exigeante mais bien de notre temps sur le désarroi et la fragilité humaine.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 2 novembre au Studio de la Comédie Française, Galerie du Carrousel du Louvre, Place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris – du mercredi au dimanche à 18h30 – Réservations : comedie-francaise.fr

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