C’est chez Lucien Guitry, au 26 place Vendôme, que se rencontraient, au tournant du XXème siècle pour déjeuner tous les jeudis, ceux qu’Alphonse Allais avait baptisés « les mousquetaires » et qui n’étaient ni trois ni quatre, mais cinq, car s’y ajoutaient Tristan Bernard, Alfred Capus et Jules Renard. Autour d’une bonne table où coulent abondamment les grands vins, le cognac et l’absinthe, rivalisant de traits d’esprit et de répliques brillantes, ils débattent de leurs sujets de prédilection, l’écriture, le théâtre, la gloire, l’argent et les femmes. Pourtant en cette année 1901 leur amitié pourrait être chahutée par des ambitions qui entrent en conflit, des petites jalousies, quelques trahisons et quelques mensonges, mais comme le dit l’un d’eux, « le mensonge, surtout en amitié, c’est ce qui met du poivre dans le sel de l’existence ».

C’est en s’appuyant sur les mémoires de Sacha Guitry, le fils de Lucien, que Emmanuel Gaury et Mathieu Rannou, qui jouent aussi dans la pièce, ont décidé d’écrire ce texte. Avec trois autres comédiens issus comme eux du cours d’art dramatique de Jean-Laurent Cochet en 2015, ils ont créé une compagnie Les Inspirés . Cette pièce est leur première création théâtrale et c’est une grande réussite ! Devant nous vit le Paris des milieux littéraires et du théâtre de la Belle Époque, avec ses beaux esprits à la lucidité parfois cruelle, mais à la langue toujours vive et acérée. Le rythme soutenu de la pièce évoque le Boulevard, mais avec des dialogues vifs qui claquent et où brillent comme des pépites les traits d’esprit, car ces cinq là n’en manquaient pas. Cinq personnages à la personnalité différente mais dont l’amitié ne faiblit pas (« Si l’on ne pardonnait pas, on ne verrait plus grand monde » dit l’un d’eux) et que seule la mort séparera vraiment. Et comme l’a dit Alphonse Allais « Partir c’est mourir un peu, mais mourir c’est partir beaucoup!).

Théâtre : Et si on ne se mentait plus
Théâtre : Et si on ne se mentait plus

La mise en scène de Raphaëlle Cambray offre l’essentiel de l’espace au salon de Lucien Guitry, mais laisse une ouverture sur un bistrot, un des nombreux qu’affectionnait Alphonse Allais. Et c’est un par un que les cinq compères s’effaceront quand la mort viendra les prendre, mais leur mémoire elle subsistera, puisqu’une de leurs phrases les plus célèbres s’inscrira sur le mur.

A travers la performance des cinq jeunes acteurs, c’est chacun de ces personnages qui se dessine. Mathieu Rannou, à la voix qui rappelle celle de Charles Denner, est un Alphonse Allais, lunaire toujours en retard, car trop de cafés croisent sa route, toujours à l’affût d’un fond de verre à siroter, et toujours imprévisible. Maxence Gaillard campe un Jules Renard inquiet, frustré de n’être pas encore reconnu et qui veut toujours être honnête et tout dire à ses amis au risque de l’excès qui fâche. Nicolas Poli est Alfred Capus sûr de lui, auteur reconnu ambitionnant d’entrer à l’Académie et dont le maître mot est « tout va finir par s’arranger ». Regard de velours et sourire léger, Emmanuel Gaury incarne bien le grand séducteur et l’acteur exceptionnel que fut Lucien Guitry. Guillaume d’Harcourt est Tristan Bernard truculent, généreux et un peu brouillon, passant à la vitesse de l’éclair d’une nouvelle pièce à l’organisation d’un match de boxe avec un grand boxeur américain.
Avec ce quintette l’attention ne faiblit jamais et la fin devient un feu d’artifice de traits d’esprit dont on se régale longtemps après.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à18h30, le dimanche à 15h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réduc’SNES sur réservation : 01 45 44 57 34

Théâtre : Et si on ne se mentait plus
Théâtre : Et si on ne se mentait plus
Théâtre : Et si on ne se mentait plus
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