Admirateurs de Pessoa, le metteur en scène Guillaume Clayssen et l’actrice Aurelia Arto se sont lancés dans une aventure que l’on pouvait penser insensée, faire entendre les textes de Pessoa poétiques, ésotériques, mystiques, parfois teintés d’humour et de philosophie. Longtemps uniquement apprécié par un petit cercle d’amis et reconnu seulement bien après sa mort en 1935 – ses deux grandes œuvres Le livre de l’intranquillité et Faust ne furent publiés qu’en 1982 et 1988 – Pessoa est aujourd’hui considéré comme un des très grands auteurs portugais du XXème siècle.

Dés son enfance Pessoa s’était inventé un double. « Enfant j’ai eu tendance à créer autour de moi un monde fictif, à m’entourer d’amis et de connaissances qui n’ont jamais existé. Je ne sais si réellement ils n’ont pas existé ou si c’est moi qui n’existe pas. Il faut en la matière se garder d’être dogmatique ! ». En examinant tous les textes que l’on a exhumés, peu à peu, après sa mort on a compté 72 alias, en incluant les pseudonymes, les hétéronymes et les semi-hétéronymes. Mais ce qu’on en retient surtout ce sont les hétéronymes, tous les autres poètes qui « écrivaient à travers lui ». Ils ont pris une telle force, dans la création littéraire de Pessoa, qu’il a trouvé pour chacun une biographie justifiant leurs différences.

Aurelia Arto et Guillaume Clayssen ont voulu mettre sur la scène ces textes étranges, protéiformes, emplis des doutes et des incertitudes du poète, révolutionnaires aussi par l’ailleurs qu’il proposait. Dans un univers blanc la silhouette de l’actrice, seule en scène, modelée par le beau travail de lumière de Julien Crépin, se détache et semble se fragmenter maniant comme les pièces d’un jeu quatre grands modules blancs dont une face est un miroir comme autant de reflets de ces hétéronymes rêvés.

Aurélia Arto, incarne le poète mais aussi ses quatre hétéronymes, Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos et Bernardo Soares et enfin Ofelia, la seule amoureuse qu’on lui connaît. Les tenues qu’elle revêt nous découvrent leur personnalité imaginée. Grand manteau noir si caractéristique des photos que l’on connaît du poète, silhouette féminine actuelle, collant chair et perruque platine pour l’un des hétéronymes, enfin collant reflétant la lumière comme des centaines de petits miroirs colorés brouillant les pistes. Elle est magnifique, se faisant la voix du poète mais aussi de tous ses hétéronymes et même de son amoureuse.

Sa voix nous emmène de la réalité au rêve, du sérieux à l’esprit d’un clown désabusé, faisant entendre les désarrois, les incertitudes, l’humour devant l’absurdité de la vie, les fragilités et la solitude qui imprègnent les textes de Pessoa. Une belle découverte.

Micheline Rousselet

Prévu du 11 au 15 janvier, mais annulé en raison du COVID à L’Echangeur de Bagnolet – 5 et 6 février au Théâtre du Chatelard, Ferney-Voltaire – 19 au 21 mars au Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val de Marne – 25 mars au Théâtre Jean Vilar de Suresnes


Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu