Théâtre : Espace vital

Au milieu de la nuit, le Chancelier Stroiber se réveille en sursaut. Il vient d’avoir une idée extraordinaire : inviter six millions de juifs à venir s’installer en Allemagne. L’onde de choc est énorme, en Allemagne même, mais aussi aux États-Unis, où des chômeurs sont tentés par la proposition, en Italie, en Australie et en Israël même, où certains s’interrogent sur les arrières-pensées forcément machiavéliques de ce projet. Mais l’Allemagne est vite débordée par les arrivées. Cela ne vous rappelle rien ?

Théâtre : Espace vital
Théâtre : Espace vital

Israël Horovitz, auteur prolixe, traduit et joué dans le monde entier a écrit cette pièce en 1997. Il est surprenant d’entendre aujourd’hui à quel point elle était prémonitoire. Bien sûr la proposition du Chancelier Stroiber renvoie à la Shoah. Mais ce dont il est question dans la pièce c’est de bien d’autres choses, le repli sur soi, la méfiance vis-à-vis de l’autre, la montée des communautarismes et celle des populismes, dans un contexte où la crise économique se double d’une crise sociale et morale.
Lorsque Israël Horovitz a terminé la pièce, il lui a semblé évident qu’elle était écrite pour Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland, la Compagnie Hercub’, avec laquelle il avait déjà travaillé. Ce sont donc logiquement eux qui l’ont adaptée, mise en scène et qui interprètent la cinquantaine de personnages !
Dans une succession de courtes séquences, où les changements de décors et de costumes se font à une vitesse sidérante, on glisse des studios de télévision à une voiture, d’un appartement berlinois aux docks de Bremerhaven. En une minute chrono, toutes les télévisions du monde relaient l’information avec les trois acteurs qui parlent toutes les langues, y compris Sylvie Rolland qui arrive à poser un voile sur sa tête pour faire entendre Al Jazeera ! Les acteurs se glissent dans la peau du chancelier, d’un docker allemand qui appelle à la haine contre ceux qui veulent prendre le travail des Allemands, puis dans celle d’un docker américain qui vient chercher du travail, dans celle d’une victime de la Shoah puis dans celle de jeunes gens qui apprennent à se connaître et à s’aimer. Une pipe et une écharpe font un universitaire sentencieux, une robe noire avec col blanc et l’on a un pasteur au sermon très douteux, des papillotes et c’est un rabbin.
Sans discours lourds on aborde bien des sujets sérieux dont on débat tous les jours dans les journaux : comment intégrer ces gens qui ne parlent pas l’allemand, leur donner du travail alors qu’il y a déjà tant de chômeurs, la tentation ne sera-t-elle pas de les utiliser pour faire pression sur les salaires, les syndicats, les électeurs ? Mais Israël Horovitz nous démontre qu’il n’est pas obligatoire d’être grave pour en parler et que l’humour est une arme idéologique autrement plus efficace.
Comment délivrer un message humaniste et pacifiste avec un humour ravageur ? C’est ce que réussit ce spectacle grâce au travail de ces trois acteurs superbes. Allez les applaudir, emmenez vos élèves, vous ne le regretterez pas.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34

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