« Enfance » n’est pas un texte destiné au théâtre.
Sur les soixante-dix fragments qui le composent, l’adaptation qu’en a faite Samir Siad et ses collaborateurs de la Compagnie « Théâtre en Partance » n’en ont retenu qu’une dizaine, judicieusement choisis pour qu’une construction théâtrale apparaisse et pour que le spectateur devienne, depuis sa place, le témoin utile.
Nathalie Sarraute écrivait dans les cafés et c’est dans ce cadre commun et prosaïque que s’ouvre le spectacle. Une bande-son évocatrice avec léger brouhaha et l’auteur s’interroge d’entrée sur le bien-fondé de son projet de revenir, à un âge tardif, sur son enfance, sur la mise à jour de ces drames enfouis, de ces déchirements douloureux; une démarche qui s’avérera finalement bénéfique, synonyme de guérison et de libération.
Une plongée dans les mots pour revenir sur ceux toujours persistants qui ont failli la « dévorer » et « l’enfermer ».
Que reste-t-il d’une enfance passée par le filtre de décennies et quels en sont les moments saillants persistants ? Quelquefois le souvenir est anodin. Mais si insignifiant soit-il, s’il a résisté au temps, c’est qu’il a pesé son poids et qu’il était lourd de signification.
La recommandation à propos de la bonne mastication d’un morceau de viande qui ne doit être ingurgité que quand il est « aussi liquide que de la soupe », la réponse au sens d’un refus quand il tient au seul bloc de mots : « parce que ça ne se fait pas ». Le père qui anticipe son départ de la maison et lance, avant d’avoir refermé la porte, « Je suis parti » sont autant d’instants de l’enfance qui ont fait leur chemin et raviné la mémoire.
On aura compris que l’objet de la requête de Nathalie Sarraute, quand elle revient sur son enfance est tout, sauf celui de raconter le début de sa vie en alignant des anecdotes.
Son objectif n’est pas de divertir mais de nous entraîner dans une plongée au sein d’un magma d’émotions, de sensations et surtout de paroles qui l’ont construite et continuent de la hanter.
Une mise en scène sobre toute au service du texte et de l’interprétation, un jeu de lumières subtil et efficace, quelques feuillets éparpillés sur le plateau, un trench que la comédienne revêt ou dont elle se débarrasse pour figurer les départs et les séparations, pour tout décor la table de café où l’auteure vient écrire et le champ est libre pour l’interprète, Valérie Aubert, qui l’occupe pleinement, alternant les moments de retenue et d’autres de puissance, où elle s’enflamme, se révolte, exulte.
Tout cela est virtuose, mesuré, millimétré et il résulte au final un beau travail sur le mystère de la mémoire et sur le regard singulier que Nathalie Sarraute porte sur son passé lointain.
Un beau spectacle à ne pas manquer.
Francis Dubois
Théâtre du Petit Montparnasse 31 rue de la Gaité 75 014 Paris
Le samedi 14 heures, le dimanche 17h 30 et le lundi 19h 30, jusqu’au 31 décembre 2016.
Réservations au 01 43 22 77 74 / www.theatremontparnasse.com
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu