Deux vagabonds en guenille arrêtés au pied d’un arbre mort au milieu de nulle part attendent jour après jour un mystérieux Godot. De qui ou de quoi Godot est-il le nom ? Beckett n’en a jamais rien dit. Dieu, ont dit certains à cause de God. Mais on peut plutôt penser que Vladimir et Estragon attendent la fin, la mort. En attendant, ils continuent à se donner l’impression d’exister en parlant pour supporter le temps qui passe, l’inaction et l’ennui. Ils envisagent parfois de se pendre, mais ne le peuvent pas puisqu’ils attendent Godot. Ils s’engueulent pour se prouver qu’ils existent puis se raccommodent, car face au temps et à l’attente, la solitude est insupportable. Dans leur attente ils voient arriver deux autres spécimens de la condition humaine : Pozzo, fantasque et dominateur, et son serviteur Lucky, qu’il maltraite allègrement, sans accepter que d’autres puissent en faire autant. Quant à Lucky, s’il supporte tout de son maître, il n’accepte pas les étrangers et le fait savoir avec méchanceté à Estragon.
Dans la pièce aucun pathos, c’est le rire, l’humour qui permet aux hommes de continuer à vivre et le comique sous toutes ses formes domine la pièce : comique des situations, la corde qui sert de ceinture et pourrait servir à se pendre casse dès qu’on tire un peu dessus, propos absurdes, dérisoires ou incohérent comme le discours de Lucky à qui Pozzo a ordonné de penser, comique de répétition. Quand l’émotion semble prête à éclater, Beckett la stoppe par une grossièreté ou un jeu de mots.
Jean-Claude Sachot, qui a choisi de monter en même temps Fin de partie , signe une mise en scène très respectueuse de l’œuvre. Il se montre très fidèle aux nombreuses didascalies dont Beckett a truffé sa pièce. Pour décor un arbre mort sur fond de ciel gris et un quartier de lune qui apparaît parfois ; pour accessoires les lunettes de Pozzo, les chapeaux-melons de Vladimir et Estragon et le casque colonial de Lucky qui arrête de penser quand on le lui enlève. Une grande marionnette incarne l’enfant qui vient annoncer que Godot ne viendra pas ce soir mais demain.
La distribution est exceptionnelle et fera date. Philippe Catoire (Estragon) et Dominique Ratonnat (Vladimir) apparaissent en clowns magnifiques, sortes de Laurel et Hardy pathétiques et dérisoires. Leur diction est parfaite et sur leur visage, que l’on peut observer de très près dans la petite salle de l’Essaïon, passent toutes les nuances des émotions humaines : la perplexité, la peur, l’hébétude, l’incompréhension, la tendresse, le désir d’abandonner ou la volonté de ne pas céder au désespoir. Ils apportent la juste distance entre ce qu’ils représentent de la condition humaine et le côté comique et dérisoire de cette vie. Jean-Jacques Nervest est un Pozzo massif et opaque et Vincent Violette (en alternance avec Guillaume Van’t Hoff) est un Lucky magnifique au visage figé dans un mélange de crainte et d’excitation quand il se lance dans son monologue.
On sort de la salle déchiré par ce mélange de gravité et de parodie et le « Allons-nous en ! On ne peut pas ! Pourquoi ? On attend Godot ! Ah oui, c’est vrai ! » résonnera longtemps dans nos mémoires. Courez-y, c’est exceptionnel.
Micheline Rousselet
Du jeudi au samedi à 21h30
Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au Lard 75004 Paris
Réservations 01 42 78 46 42
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